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Temps critiques
Interventions #11

Flexisécurité à la française
L’improbable régulation du rapport social capitaliste

, par Temps critiques

Une attaque généralisée ?

Les différents types d’actions contre l’accord national interprofessionnel (ANI) pour l’emploi du 11 janvier 2013 montrent bien comment les choses sont appréhendées par les différentes forces de gauche. Par les termes utilisés, elles appellent à la mobilisation de toutes les catégories de travailleurs comme si le projet de loi les visait toutes de la même façon dans une attaque unitaire (patronat-État-syndicats de collaboration de classes) qui mériterait une réponse unitaire de l’ensemble des salariés. C’est typiquement la position traditionnelle cégétiste derrière laquelle s’alignent désormais les derniers gauchistes1 avec ce zeste de singularité radicale que constituerait l’appel abstrait à la prise en main de nos propres affaires quand, concrètement, les positions avancées s’alignent sur celles des organisations ouvrières traditionnelles.

Cette position unanimiste fait comme si des fonctionnaires aux chômeurs, en passant par les populations marginalisées, désaffiliées ou décrochées ou encore celles ayant des difficultés à s’inscrire dans le salariat, tout le monde avait le même statut, les mêmes garanties, etc., et donc les mêmes intérêts. C’est pourtant loin d’être le cas aujourd’hui car le code du travail et la loi qui sont défendus par certains syndicats comme la CGT et FO sont le produit du rapport de classes qui existait pendant la période de plein emploi des Trente Glorieuses. Le compromis social qui en est issu, le « mode de régulation fordiste » (échange d’une hausse de productivité du travail contre une hausse des salaires et un niveau élevé de protection sociale sur la base du salariat pour tous), concernait l’ensemble des travailleurs, mais sur le modèle du salarié type bénéficiant d’un contrat de travail à temps plein et garanti (en France, le CDI). Durant cette période, on pouvait considérer que, malgré les différences, par exemple entre ouvriers professionnels d’un côté (OHQ et OP) et ouvriers spécialisés (OS) des chaînes de montage de l’autre, entre salariés du public et travailleurs du privé, les conditions communes primaient sur les différences et inégalités2.

Si l’organisation du travail et de la production ont changé et que ce qui recouvrait toutes les différences de situation auparavant ne les recouvre plus aujourd’hui, eh bien tant pis ! Syndicats néo-staliniens et groupes gauchistes n’en démordent pas : force doit rester à la loi3.

Une stratégie du sablier…

Or, cette réforme, sans entrer ici dans les détails, est justement une réforme qui n’a pas pour but de traiter tous les salariés de la même façon puisqu’elle veut instiller :

– plus de sécurité là où il y a le plus de précarité ; par exemple, par la taxation des CDD et la création de CDI dans l’intérim, l’obligation faite aux patrons de financer une mutuelle complémentaire santé là où elle n’existe pas, ce qui est le cas pour plusieurs millions de salariés, par exemple dans les très petites entreprises (TPE), des droits rechargeables aux allocations chômage qui visent à empêcher « la préférence » pour le chômage en permettant le cumul des allocations et du travail à temps partiel, ainsi qu’un compte personnel de formation continue dont seulement 10 % des chômeurs bénéficient actuellement4 ;

– plus de flexibilité là où les situations sont les mieux « garanties » (« accords sur le maintien dans l’emploi » dans les grandes entreprises qui faciliteraient la mobilité interne à l’intérieur des groupes, une éventuelle baisse des salaires et une hausse des horaires de travail si besoin5 est, et, si les signataires représentent au moins 50 % des salariés, une application non systématique des critères conventionnels d’ordre de licenciement qui respectaient généralement ancienneté dans le travail, âge, charge de famille et qui devront prendre en compte bien plus qu’auparavant les fameuses « compétences » chères à toutes les DRH6).

Mais même pour les salariés des grandes entreprises, des « compensations » sont envisagées comme la participation de représentants des salariés au sein des conseils d’administration — un début de cogestion à l’allemande ? — ou l’encadrement par l’État d’éventuels futurs plans sociaux. Si on fait le bilan du projet, on ne peut pas dire que c’est une reprise pure et simple de celui de Sarkozy sur la compétitivité et l’emploi. Il y a bien une « avancée » avec des mesures que la CFDT demandait depuis longtemps, mais, en même temps, un recul avec une offensive maximaliste du MEDEF qui se doute que le projet initial sera amendé en sa défaveur au Parlement.

En fait, le projet actuel n’a pas encore un but général. Il n’est qu’une tentative pour les pouvoirs en place de jeter une première pierre dans l’édification d’un nouveau compromis social entre le capital et le travail succédant au mode de régulation précédent, mais dans un rapport de force modifié par la perte de centralité de la force de travail dans le procès de valorisation. Un compromis vers lequel les pays scandinaves, les Pays-Bas et l’Allemagne avancent à plus vive allure (flexisécurité) que la France, l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni, parce que la conflictualité ouvrière et l’antagonisme de classes y ont été englobés dans un rapport social déjà plus capitalisé et depuis plus longtemps.

Il ne faut certes pas se leurrer sur cette « démocratie sociale » à la française, mais elle fait consensus sur le fond7 et aucun des syndicats « représentatifs » n’a fait mine de boycotter les rencontres préparatoires.

Dans ces conditions, ceux qui ne signent pas ne sont pas « mieux » que ceux qui signent. Ils défendent un autre compromis reposant sur d’autres principes (les conventions de branche ou interprofessionnelles plutôt que les accords d’entreprise, la loi plutôt que les contrats, etc.)... ou, plus prosaïquement encore, ils défendent en priorité un certain type de travailleurs ou leurs adhérents. La CGT et FO privilégient leur clientèle traditionnelle, celle qui est la mieux garantie et, d’ailleurs, la plus syndiquée. Comme d’habitude, les directions syndicales jouent double jeu. Pendant qu’elles paradent face aux médias avec de grandes déclarations outragées, en coulisse, sur le terrain, il se passe d’autres choses8. Ces grands principes sont d’ailleurs vite abandonnés quand se fait jour une opportunité d’aménagement plus corporatiste, propre à l’entreprise. C’est bien ce qui s’est passé chez Continental Clairvoix où l’ensemble des syndicats a accepté dès 2007, donc bien avant le projet de loi actuel, des accords d’entreprise sur la compétitivité et l’emploi parce qu’il s’agissait là, pour les travailleurs, de sauver des emplois concrets : les leurs. À ce moment précis, ils n’en avaient rien à faire de la loi pour tous et du fait que, d’une certaine façon, ils trahissaient « la classe ouvrière » toute entière en acceptant l’accord. Ce n’est qu’après le « mensonge » patronal et la fermeture de l’usine qu’ils sont devenus plus combatifs. Et pas pour défendre des grands principes, mais pour faire « cracher » le plus possible le « patron » en leur faveur.

La situation est donc très différente de celle des années 1960-1970 où le contexte était encore celui d’une centralité du travail et d’une prédominance de la production matérielle sur des marchés généralement en expansion, y compris dans des frontières demeurant nationales. Le donnant-donnant du fordisme (hausse de la productivité contre hausse des salaires) pouvait donc fonctionner dans une sorte de « gagnant gagnant », pour parler néo-moderne, et ce n’est pas un hasard si, pendant cette période, les thèses keynésiennes sur la croissance par la hausse constante de la demande étaient dominantes. Le salaire pouvait être considéré davantage comme un revenu que comme un coût parce qu’une stratégie macro-économique de croissance l’emportait sur les pratiques entrepreneuriales particulières de profit et de puissance.

… correspondant à une marge étroite

Aujourd’hui, la centralité du travail dans le procès de valorisation est remise en cause par la substitution capital/travail qui réduit la part de travail vivant dans le procès de production et la production matérielle ne se fait plus sur des marchés en expansion, mais sur des marchés saturés ou rendus extrêmement concurrentiels par la mondialisation.

Par ailleurs, bien que la production matérielle, dans des secteurs comme l’énergie, la sidérurgie, la chimie de base et même l’industrie des puces électroniques soit plus que jamais nécessaire et se réalise au sein de sites d’importance, parfois gigantesques9, la production se fait de plus en plus immatérielle10 et virtuelle au sein d’unités de production de biens et de services plus petites et plus dispersées. Ces nouvelles conditions débouchent sur des situations et des statuts très contrastés dans lesquels même la fonction publique n’est pas épargnée, avec la multiplication des CDD dans la recherche médicale par exemple. Des contrats commerciaux qui échappent au droit du travail classique se multiplient, le développement du travail intermittent et du travail indépendant ou free lance se fait aux marges du salariat. De même, la généralisation des conventions de stage à la place de contrats de travail pour les étudiants très qualifiés en recherche d’emploi est une pratique de plus en plus courante dans le secteur high-tech et il échappe à un point tel au code du travail que Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur, est en train de préparer un projet visant à contourner ce code pour accorder des droits non prévus pour cette catégorie de personnel (les « invisibles » comme ils s’appellent eux-mêmes lors de leurs actions), tels un droit à des congés payés et un droit à la protection sociale. Le MEDEF s’y oppose évidemment en criant à la dénaturation de la spécificité des conventions de stage au profit de contrats de travail déguisés. Cet exemple montre bien la réversibilité des arguments de la part des protagonistes habilités à négocier. Syndicat patronal comme syndicats de salariés peuvent utiliser le même type d’arguments (le respect du code du travail ici, mais ses insuffisances ailleurs) pour avancer chacun leurs pions.

Le but premier pour les forces qui agissent au niveau du capitalisme du sommet est aujourd’hui la capitalisation financière plutôt que l’accumulation des forces productives, dans le cadre d’une « reproduction rétrécie » plus qu’élargie du capital. Conséquence : le donnant-donnant apparaît beaucoup plus difficile à réaliser. Comme disent les syndicats, « il y a moins de grain à moudre » et la part des salaires dans la valeur ajoutée baisse. Mais cette baisse ne s’explique pas seulement par un rapport de force défavorable — si c’était le cas, ce ne serait pas inéluctable —, mais par une inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation. Ce dernier se fait plus diffus et parcours toute la chaîne de valeur de l’amont jusqu’à l’aval et la production telle qu’elle était traditionnellement conçue stricto sensu n’est plus qu’une de ses composantes parmi d’autres. Le chaînon ouvrier n’en constitue donc plus qu’une composante parmi d’autres… et pas la plus importante.

De ce froid constat resurgit naturellement l’idée néo-classique selon laquelle les salaires ne sont que des coûts dont certains seraient même supérieurs à la productivité générée, ce à quoi il faut remédier même si leur part représente une proportion toujours plus faible du coût total. Ils servent de variable d’ajustement parce qu’ils sont aujourd’hui les seuls coûts à ne pas être fixés à un niveau mondial avec, bien sûr, les coûts structurels liés aux diverses impositions prélevées par les États souverains.

Il y a nécessité pour le capital et ses différentes fractions de trouver un nouveau compromis sur des bases peu évidentes, mais qui donne au moins l’impression qu’il n’y a pas de perdant, seulement des concessions réciproques. D’où l’importance de la participation des représentants du capital variable (les syndicats de salariés) aux actuelles négociations et ce, sous les auspices d’une « démocratie sociale » qui sera ensuite confortée par des discussions au Parlement sur lesquelles les partenaires sociaux pourront peser et, particulièrement, les syndicats de salariés auprès des députés de gauche de la majorité. Mais la marge est extrêmement étroite si on se réfère à notre exemple de la note 8, quand un accord comme celui conclu chez Continental ne représente même plus une garantie, quand les promesses de Mittal ne sont que des paroles et quand le patron américain de Titan refuse toute solution pour les salariés accusés de ne pas vouloir travailler plus de trois heures par jour, alors qu’il n’y a pas matière à le faire, vu la situation de l’entreprise.

Tous ensemble ? 

Dans ce contexte profondément modifié, la CFDT assume sa différence de syndicat « responsable » en tenant compte des transformations de la « composition de classe ». Si cette centrale syndicale prend une telle position, ce n’est pas seulement parce qu’elle est plus clairvoyante sur le rôle actuel et futur du syndicalisme dans la société capitalisée, mais c’est aussi parce qu’elle est beaucoup moins implantée dans les bastions traditionnels de l’industrie et de la fonction publique, et plutôt mieux implantée dans les nouveaux secteurs du tertiaire et dans les PME dans lesquels les problèmes sont sensiblement différents. Elle est aussi la seule à reconnaître — et depuis longtemps11 — une crise du travail12. Une crise qui ne pose pas seulement la question de la sécurité de l’emploi en général, mais plutôt la question précise de l’augmentation du nombre de travailleurs précaires et aussi celle des en-dehors du salariat organisé (travailleurs clandestins de l’économie informelle) ainsi que celle des décrochés ou autres « désaffiliés » (cf. R. Castel) des quartiers défavorisés. Des questions que posaient aussi à sa manière Agir contre le chômage (AC) et divers groupes de chômeurs à la fin des années 1990, et que continuent à poser quelques comités de travailleurs précaires ici et là. Des questions qui ne sont pas toutes liées à la situation de travail, mais au fait que les droits sociaux sont encore soumis aux conditions définies strictement à l’intérieur d’un cadre, celui de la norme salariale fordiste, déterminant en grande partie les conditions pratiques de toute la vie quotidienne des individus. Or, ce cadre est devenu en grande partie théorique puisqu’il ne correspond plus exactement à la réalité du terrain. Après que la société bourgeoise s’est dissoute dans la société salariale (cf. M. Aglietta et A. Brender), la société salariale tend à se dissoudre dans la société capitalisée (cf. la revue Temps critiques). Mais, malheureusement, le refus ou la révolte contre ce devenir ne porte que rarement à agir pour le rendre incertain en se proposant d’aller au-delà, mais à se contenter le plus souvent de revendications nostalgiques sur un retour à... la norme salariale fordiste, et les discours « indignés » sur les bienfaits du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) sonnent pour beaucoup comme un eldorado du salariat13, en oubliant qu’elle reposait bien souvent, et particulièrement pour les jeunes, les femmes et les travailleurs immigrés, sur une exploitation éhontée dans des conditions de travail souvent terribles.

Il faut arrêter de rejouer indéfiniment le mythe de l’unité ouvrière quand l’atomisation objective (destruction des grandes « forteresses ouvrières », déclin des formes d’emploi à vie) et l’atomisation subjective (impossibilité aujourd’hui d’affirmer une identité de classe, une identité ouvrière) rendent les luttes plus éclatées et sans perspective définie. Même les appels abstraits à l’unité « à la base » ne servent à rien d’autre qu’à donner un dernier souffle à des syndicats qui n’appellent toujours qu’à une unité au sommet. C’est assez logique qu’ils procèdent encore ainsi dans un pays marqué par des divisions idéologiques du passé qui n’auront bientôt plus cours, mais pourquoi leur emboîter le pas soit en entrant directement dans leur stratégie, soit en ne s’en démarquant que de façon complètement artificielle par des mini-appels qui ne s’en distinguent que par la forme ?

Pour nous, il s’agit plutôt de saisir les éléments qui pourraient constituer déjà des ferments de luttes à venir, de voir comment ils peuvent faire « communauté », non seulement au sens de communauté de lutte pour les individus les plus directement concernés, mais au sens d’un en-commun plus large qui ne soit pas un cartel de catégories « toutes unies14 » par une opération du Saint-Esprit, se substituant à feu le déterminisme historique.■

 

Pour tout contact et courrier à propos de ce texte :

lcontrib@no-log.org

Notes

1 - Ils soutiennent la revendication ouvriériste classique du CDI pour tous et se distinguent de ceux qui reportent leurs espoirs sur la révolte des précaires et un « précariat » conçu comme nouveau sujet ou composante majeure d’une nouvelle classe ouvrière.

2 - Nous simplifions mais, bien sûr, la classe ouvrière n’a jamais présenté une figure unifiée. Dès l’accroissement de la division industrielle du travail au XXe siècle, les syndicats réformistes ou reconnus ont plutôt encadré les travailleurs qualifiés parce que les plus concentrés dans les grandes entreprises, et de plus vieille tradition ouvrière et urbaine, alors que les autres ainsi que les chômeurs restaient inorganisés ou avaient recours à des organisations un peu spécifiques comme les IWW aux États-Unis. On retrouve cette séparation dans les luttes des années 1968-1973 où, en France et en Italie, ce sont les OS qui ont porté les luttes les plus dures, la plupart du temps en dehors des syndicats ou alors à leur base sans toutefois arriver à dégager un minimum d’unité nécessaire à l’élargissement du mouvement de critique du travail.

3 - Si on s’en tenait à un tel raisonnement, la Couverture médicale universelle (CMU) n’aurait jamais été mise en place puisque la Sécurité sociale ne doit concerner que les salariés ou les parents rattachés, pas les pauvres et les « fainéants ». C’est aussi sur cette base d’un tout ou rien qui n’a rien de révolutionnaire que les syndicats se sont longtemps opposés à toute organisation séparée des chômeurs, comme si être chômeur quand il y en a moins de 500 000 (les années 1960 jusqu’à 1968) correspondait à la même situation qu’être chômeur quand il y en a quatre millions et un quart de longue durée ! L’évolution des notions statistiques est d’ailleurs parlante. Ainsi, la notion de population active définie par l’INSEE dans les années 1950 comprenait les chômeurs comme des actifs car le chômage n’était considéré que comme une parenthèse entre deux période de travail, alors qu’aujourd’hui, pour certains, c’est le travail qui devient une parenthèse entre deux périodes de chômage ou de stages et l’INSEE a dû créer la catégorie de « population active occupée » afin de distinguer ce qui est devenu deux situations.

4 - Certes, on pourra remarquer qu’un gouvernement qui se présente comme social-démocrate va de fait mettre en concurrence organismes publics et organismes privés de formation afin de respecter l’harmonisation européenne sur ce point.

5 - Il ne faut pas se laisser abuser par les mots. Quand, par exemple, le nouvel accord Renault de sécurisation de l’emploi prévoit une augmentation de l’horaire de travail, c’est en réalité une augmentation sur un temps qui est, en moyenne dans le groupe, inférieur à ce que dit la loi en France. En l’espèce, il s’agit du passage de 34 heures par semaine à 35 heures. Bien sûr, on peut dire que c’est un alignement par le bas, mais c’est bien moins inquiétant que le fait de savoir que les salariés vont être amenés à produire 300 000 voitures supplémentaires... alors qu’il y aura 7 500 suppressions de postes. Cela conduit forcément à entériner les augmentations de productivité par la substitution capital/travail et ça ne provoquera pas d’embauche supplémentaire, sur cette base du moins.

6 - Ce respect est dans les faits assez théorique car qui peut croire que les patrons en difficulté ne cherchent pas à garder les personnes les plus rentables et à se débarrasser des employés les plus rétifs aux restructurations ? Les exemples ne manquent pourtant pas, comme dans les professions de la presse. Comme souvent, une nouvelle loi ne fait que confirmer une tendance en cours encore marginale, mais en progression.

7 - Une preuve institutionnelle de ce consensus nous est apportée par l’adhésion de la CGT à la Confédération syndicale internationale (CSI), le 1er novembre 2012. La CSI regroupe à peu près tous les syndicats sociaux-démocrates et chrétiens plus la CGT et bientôt FO. Ses statuts sont plus contraignants que ceux de l’ancienne CISL anticommuniste : les organisations syndicales « ont la responsabilité de prendre en compte, dans la formulation de leur politique, les décisions du congrès et des organes directeurs de la confédération ». On ne peut mieux dire que ce sont l’ensemble des grands syndicats qui demandent et espèrent participer au « capitalisme du sommet ».

8 - Ainsi, le syndicat FO de PSA Sevelnord à Hordain (59) a signé l’accord de compétitivité de juillet 2012 et il vient de signer l’accord de relocalisation de Renault de mars 2013 qui prévoit justement augmentation du temps de travail et gel des salaires ainsi que l’acceptation de suppressions d’emplois, donc tout ce que la direction confédérale vient de refuser. Il ne s’agit pas pour nous de vociférer contre les syndicats parce qu’ils ne sont pas assez révolutionnaires, mais de rappeler qu’ils ne sont que les défenseurs de la force de travail telle qu’elle est, mais pas forcément de toute la force de travail. Ils défendent en priorité l’image qu’ils ont du travailleur modèle. Cela n’empêche pas la CGT d’ouvrir son champ d’action quand il est porteur de mobilisation et surtout d’adhésions, mais il ne faut pas que ceux qui ne répondent pas au « modèle » poussent le bouchon trop loin. Par exemple, si sa position par rapport aux chômeurs a évolué positivement depuis l’action d’Hoareau et de ses comités de chômeurs CGT à Marseille, ce n’est pas un hasard non plus si le siège de la CGT à Paris a été occupé par les travailleurs africains sans papiers en grève en 2008 pour montrer leur désapprobation vis-à-vis de la ligne officielle de l’organisation syndicale. Ces pratiques ne sont pas propres aux « grands » syndicats et se retrouvent aussi bien à SUD Groupe des Dix qu’à la CNT-Vignoles. Nous en avons maints exemples, que ce soit dans l’enseignement, dans la presse, à la Poste ou à la SNCF. Mais cela ne nous empêche pas de lutter avec des syndiqués s’ils sont des individus critiques et non pas simplement des syndiqués de base en désaccord avec l’appareil syndical.

9 - Sans la production matérielle d’énergie, sous le contrôle de la puissance étatique, la production immatérielle n’existerait même pas. Ainsi, les réseaux de communication, tout immatériels qu’ils soient, sont de très gros consommateurs de production d’électricité.

10 - « Immatérielle » n’est pas à prendre ici au sens théorique que veulent lui donner des auteurs comme Gorz, Negri ou Rifkin, mais au sens statistique donnée par l’INSEE et les grands systèmes de comptabilité nationale. À savoir : la production de biens est considérée comme matérielle ; la production de services comme immatérielle, même si elle dépend de la première.

11 - Cf. sa grande enquête interne des années 1990 rassemblée dans le livre Le travail en question : enquête sur les mutations du travail, Syros 2001. De son côté, le journal Libération n’y va pas par quatre chemins et déclare sentencieusement : « Il faut travailler à sauver le travail. » (6 mars 2013)

12 - Une idée qui passe difficilement et encore marginalement dans la tête d’un syndicat « révolutionnaire » comme la CNT-Vignoles.

13 - C’est bien connu que chez les militants, et en général à l’extrême gauche, les choses étaient toujours mieux avant et que l’idée révolutionnaire se fortifie de l’idée que ça va être pire et donc que nécessairement... etc., etc.

14 - Même si le monde paysan n’est pas un exemple exportable, on ne connaît que trop les dégâts produits par la domination sans partage du syndicat majoritaire (la FNSEA), soi-disant syndicat de tous, mais en fait syndicat des grands céréaliers et éleveurs captant les subventions de la PAC et organisant l’agriculture industrielle. Il y a pourtant toujours eu des petits paysans pour servir de masse de manœuvre à ces gens-là !

 

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