Annexe au livre « Mai 1968 et le Mai rampant italien »
Méthode rétrologique et théories du complot
Rétrologie : (de l’italien : dietrologia, de dietro, de derrière). Discipline qui prétend prédire le passé en cherchant la chose derrière les choses. Elle se nourrit des théories du complot.
Ce qui est étonnant, c’est que les théories du complot s’originent traditionnellement à l’extrême droite ou dans les cercles du Pouvoir (le juge Calogero), or ici, pour l’Italie, si Calogero a allumé la mèche, c’est plutôt à gauche (juges proches du PCI), à l’extrême gauche (situationnistes) et parmi dissociés et repentis (Franceschini) qu’elles vont se développer.
La filiation mouvement autonome/lutte armée et le théorème de Calogero
Pour Oreste Scalzone, ancien leader de PotOp puis des Comités communistes en 1977 jusqu’à son arrestation avec d’autres leaders de l’Autonomie ouvrière, une conception policière de l’histoire était à l’œuvre dans les cercles du pouvoir. Et cela était pimenté par la propre paranoïa du juge Calogero, convaincu qu’il existait un centre unique qui aurait dirigé l’ensemble des courants et des formes de la subversion sociale, à savoir tout d’abord, l’Autonomie ouvrière agissant essentiellement à découvert, ensuite les groupes informels du terrorisme diffus et pour finir, les formations armées organisées comme les BR et PL. Mais Calogero s’appuyait quand même sur une hypothèse solide — niée pourtant par Negri — qui était l’imbrication réelle des militants de la lutte armée dans l’expérience de masse. D’ailleurs et malgré la répression, le renouvellement des militants des groupes de lutte armée se fit jusqu’au tout début des années quatre-vingt renforçant par là l’idée de Calogero d’une unité d’ensemble malgré la diversité des formes. Unité produite par le contexte social de violence diffuse en l’Italie qui dépassait largement le conflit de classes (cf. l’action des différentes mafias et le mélange des genres entre lutte contre la mafia et lutte contre les groupes armés avec l’utilisation de la loi sur les repentis et du même Général Dalla Chiesa), mais qui trouvait là un point d’application particulier et une généalogie idéologique qui faisaient que le mouvement avait balisé un imaginaire de violence.
Calogero s’appuyait aussi sur une stratégie du général Dalla Chiesa, selon laquelle on ne pouvait pas attaquer tout le mouvement, car alors il aurait fallu remonter jusqu’au Mouvement ouvrier lui-même, mais qu’il fallait viser la charnière entre mouvement et groupes armés, celle formée par l’Autonomie ouvrière. Dit autrement, « Il fallait vider l’aquarium pour attraper le poisson1 » et pour le faire, il fallait piétiner tous les principes de l’État de droit et frapper à la charnière entre la légalité et l’illégalité, tous les activistes. Il s’agissait, à partir de la répression des formations armées, de délégitimer toute émergence autonome antagonique et de réaliser ainsi une normalisation préventive.
Cette manœuvre a été appuyée par le PCI pour qui la nécessité de sauver l’État démocratique fait force de loi et par une presse unanimiste. Scalzone tente de l’expliquer : « J’ai écrit récemment une lettre ouverte à Scalfari, le directeur de La Repubblica, dans laquelle je disais : j’accuse les hommes de la gauche et de l’extrême gauche extra-parlementaire d’avoir favorisé la montée de l’idéologie de la lutte armée, parce qu’ils n’ont jamais accepté de voir et de décrire le phénomène pour ce qu’il était. Ils auraient pu le traiter en déviation, le critiquer durement, mais ils refusaient d’admettre ce qui était évident aux yeux de tout le monde, que la lutte armée naissait d’un mouvement social, dans une situation de double pouvoir, qu’elle était aussi l’aboutissement d’une généalogie idéologique qui avait son origine dans la tradition du mouvement, anarchiste, bolchevique, etc. Alors, dans la terreur d’être impliqués dans cette généalogie, la gauche et les gauchistes classiques ont eu une attitude que les psychanalystes appellent le refoulement du deuil. Pendant toutes les années soixante-dix, et dès le début, alors qu’il n’y avait pas encore de morts, quand il y avait seulement des voitures brûlées, des séquestrations d’un quart d’heure, un syndicaliste facho enchaîné aux grilles de la Fiat, etc., ils n’ont jamais parlé du phénomène pour ce qu’il était. C’est surtout frappant de la part des communistes, qui savaient à quoi s’en tenir. Les gauchistes classiques, on peut dire qu’ils étaient bêtes, qu’ils croyaient vraiment aux pistes noires, etc. En tout cas, tous ces gens-là ont toujours dit que les actes de violence étaient des provocations qui venaient d’ailleurs. Cela a empêché la reconnaissance du phénomène et alors il n’y avait plus la possibilité d’engager une bataille culturelle et théorique contre cette déviation.
À part à Potere Operaio, il n’y a pas eu une ligne de critique marxiste de l’idéologie de la lutte armée et du terrorisme. […] Ils ont voulu oublier que Lénine avait été en 1906 un terroriste, qu’il y avait eu un terrorisme anarchiste. […] Ils ont scandalisé des jeunes militants qui venaient de l’extrême gauche, de Lotta Continua, de la Jeunesse communiste, des Comités de base des écoles, et qui voyaient qu’ils étaient décrits comme des provocateurs. Donc que pouvaient-ils penser de la légitimité, de l’intelligence des analyses de cette gauche ? Elle a eu l’énorme responsabilité d’avoir, à la limite, poussé des gens vers la lutte armée. À quoi il faut ajouter l’énorme responsabilité intellectuelle de Berlinguer, avec son analyse sur le coup d’État au Chili qui a été l’occasion de lancer la formule du compromis historique. Son analyse était : dans le monde, Yalta domine, il y a un régime de souveraineté limitée à l’Est et à l’Ouest et il jugeait donc l’alternance démocratique impossible. Il disait : “si on gagne avec 51 % de voix, on ne peut pas faire l’alternative, on ne peut pas gouverner, il faut former une grande coalition avec la Démocratie chrétienne, comme garantie, face au système occidental et aux Américains, de la légitimité de notre participation au pouvoir”.
C’était le compromis historique. Quand tu dis à une génération entière très militante, complètement émue par le coup d’État de Pinochet au Chili, qu’ici aussi il y a une souveraineté limitée et que le réformisme n’est pas crédible, c’est très normal que dans cette génération, on s’identifie au MIR, on dise : Jamais plus sans fusil, il faut s’armer2 ».
Les théories du complot
Parce que la société italienne, plus que d’autres à l’époque, s’est révélée être celle du mensonge d’État, des attentats-massacres, de la « stratégie de la tension », du réseau Gladio3 et de l’État d’exception permanent, des idéologies simplificatrices se sont développées, qui toutes ont pour point commun le fait de nier la réalité de la violence interne des rapports et conflits sociaux dans la Péninsule, pour en faire le résultat externe d’une situation géopolitique particulière transformant le pays en jouet de la guerre froide plutôt qu’en « laboratoire social ». Et ce processus fut initié par les forces de gauche, à la fois pour répondre aux attaques dont elles étaient l’objet, par exemple les anarchistes Pinelli et Valpreda furent accusés d’être les auteurs des bombes de Piazza Fontana à Milan en 1969, mais aussi afin d’accréditer une vision angélique de leurs propres activités de peur d’être impliquées rétrospectivement dans une généalogie du terrorisme.
Cette peur est le produit d’une incrédulité vis-à-vis de ce qui s’est passé dans ces années là, d’une incapacité à comprendre, puis à accepter, la profondeur et la radicalité du mouvement de révolte de l’époque. À partir d’un certain moment, chaque nouvelle arrestation ou décès les armes à la main d’un partisan de la lutte armée entraîna une déception pour la gauche quand elle découvrit que cette lutte armée était une histoire d’ouvriers, de chômeurs, de précaires, d’artisans, de techniciens, de membres des Comités unitaires de base, de syndicalistes et de délégués syndicaux4. Il leur fallut alors trouver une explication rationnelle à cette irrationalité de l’entreprise subversive.
Comme le relevait Joseph Gabel dans La fausse conscience, Minuit, 1962, p. 95, la conception policière de l’histoire constitue un exemple de pensée non dialectique et une forme extrême de l’aliénation politique. C’est le fruit d’une « déchéance de temporalisation » qui rend l’événement incompréhensible parce qu’il semble surprendre l’histoire avec un grand H en ne répondant pas ou en se révélant en opposition avec la logique des enchaînements de causes à effets. Un événement alors, qui ne peut plus être qu’un produit de l’extérieur, de l’étranger, en provenance des juifs ou des francs-maçons ou alors des services secrets. L’autonomie de l’événement sera d’autant plus niée qu’il apparaît comme un événement contraire au développement historique attendu, ce que la gauche italienne institutionnelle et syndicale par exemple, dans sa grande majorité, ressentira au plus profond d’elle-même, avec l’enlèvement puis l’assassinat d’Aldo Moro, au moment où elle semblait toucher au but avec le projet de compromis historique entre DC et PCI.
Cette incrédulité touchera aussi les magistrats. Ainsi, Barbara Balzerani (nom de guerre Sara), militante des BR des années soixante-dix puis membre de la direction stratégique dans les années quatre-vingt et organisatrice de l’enlèvement du Général Dozier, raconte un de ses interrogatoires : « En effet, il était convaincu que tout n’avait pas été vraiment éclairci car, par exemple, il considérait impossible que le 16 mars (jour de l’enlèvement de Moro), les BR aient pu me confier une tâche militaire trop importante pour être laissée dans les mains, peu sûres, d’une femme. Donc, il devait sûrement y avoir quelqu’un d’autre, bien évidemment un homme, qui recelait dans son identité cachée la réponse au mystère qu’il y avait derrière. Son incrédulité était telle qu’il n’éprouvait aucun embarras à me le raconter justement à moi. Amusant ! Comment lui expliquer que, s’il s’engageait dans cette voie, il risquait de ne pas comprendre quoi que ce soit ? Comment l’avertir que, s’il avait croisé un jour une femme armée, il aurait mieux valu pour lui ne pas croire qu’il en aurait réchappé ».
Plusieurs étapes jalonnent ce processus complotiste.
Première étape : la mort de Feltrinelli à Segrate en mars 1972 suivie de celle du commissaire Calabresi en mai de la même année.
L’idée qu’une grande figure de l’intelligentsia de gauche comme Feltrinelli, puisse avoir été tentée par le passage à la lutte armée antifasciste est proprement incroyable et son milieu opta pour un mauvais coup de la CIA. Ce fut le début d’un décrochage entre le ressenti profond du mouvement et la réaction des démocrates avec la naissance d’une paranoïa vis-à-vis de « l’ennemi intérieur ». Dans un premier temps, les démocrates interprétèrent la mort de Feltrinelli comme le résultat de la stratégie de la tension, comme un homicide d’État, une provocation. Ce fut PotOp qui le premier révéla l’existence des GAP et du commandante Osvaldo. Le groupe parla alors d’un « accident du travail5 ».
PotOp et LC furent accusés par les autres groupes extra-parlementaires de faire une analyse folle de la situation italienne qui les amenait à traiter de compagnons des groupes comme les GAP ou les BR. C’est aussi à partir de là que des légendes vont être brodées autour de la figure du célèbre éditeur en faisant ressortir ses liens internationaux. Deux versions vont s’opposer peu à peu ; d’un côté, celle qui parle de ses rapports avec les Tupamaros et autres révolutionnaires sud-américains dans l’optique d’une guérilla urbaine à mener en Europe en liaison avec les anciens partisans communistes n’ayant jamais désarmé, au moins en idée comme Pietro Secchia6 et de l’autre, celle qui insiste sur ses liens avec les pays du bloc soviétique et particulièrement avec la Tchécoslovaquie alors que rien ne sera vraiment prouvé sur ces fameux voyages à Prague7. Tout ce halo de mystère a entretenu un temps l’idée que Feltrinelli avait été assassiné à la suite d’obscurs complots. Ce fut par exemple la première position de Curcio et des BR sur la mort de Feltrinelli8. Ils l’abandonnèrent après avoir mené leur propre enquête approfondie. Pourtant aujourd’hui Franceschini, dans son livre (op. cit.) revient à la première version.
Ce fut aussi, il faut le reconnaître, la position de Feltrinelli lui-même de prêter l’oreille aux théories complotistes. Ainsi, son analyse immédiate de l’attentat de la Piazza Fontana, était qu’il s’agissait d’un nouvel incendie du Reichstag. Le plan de ce complot, l’objectif intermédiaire, aurait été d’offrir une série de prétextes pour que les forces de répression de l’appareil d’État italien déclenchent une violente attaque en Italie, afin de créer un climat politique qui justifie une involution réactionnaire et un violent étouffement des revendications et des luttes ouvrières et paysannes9.
Quant à l’assassinat de Calabresi, l’exemplarité de l’acte, pour les groupes gauchistes, ne dura que le temps du Mouvement des années soixante-dix. Les mêmes qui appelèrent alors à venger Pinelli (le journal Lotta Continua particulièrement) nient aujourd’hui par la bouche de leurs anciens dirigeants, toute participation à cette action et toute idée qui aurait pu les faire penser à la commettre. Dans les deux cas, on assiste au refoulement des pratiques illégales et violentes de peur d’être impliqués dans une « généalogie du terrorisme » y compris, donc, quand il ne s’agit pas simplement, par là, de sauver sa peau. Nous y reviendrons.
Un exemple saisissant de mémoire rétroactive et non pas rétrospective comme dirait Scalzone. Persichetti et Scalzone, in La révolution et l’État, op. cit., p. 116 mentionnent, dans la même veine, le délire autour de l’assassinat de Pasolini dans lequel on fit passer un jeune prostitué homosexuel pour une bande de fascistes. Où on peut se rendre compte que « l’angélisme » de la gauche peut prendre une extension infinie à partir du moment où la critique sociale et politique s’abandonne au discours moral de la victimisation.
Seconde étape : l’analyse de Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti sur le terrorisme10
La position de certains membres de l’Internationale Situationniste n’a pas toujours été péremptoire sur ce point. Ainsi, dans le numéro 12 de la revue, on peut lire une critique assez mesurée : « À examiner la chose du point de vue de la stratégie des luttes sociales, on doit dire d’abord qu’il ne faut jamais jouer avec le terrorisme. De plus, même un terrorisme sérieux n’a jamais eu historiquement d’efficacité que là où toute autre forme d’activité révolutionnaire était rendue impossible par une répression complète ; et donc quand une notable fraction de la population était amenée à prendre parti pour les terroristes ».
Elle va se faire beaucoup plus ferme et dure avec le manifeste Le Reichstag brûle qui commence par une analyse des “massacres d’État” : « Devant la montée du mouvement révolutionnaire, malgré l’action méthodique de récupération des syndicats et des bureaucrates de la vieille et de la nouvelle gauche, le pouvoir se voit contraint… de jouer cette fois-ci la fausse carte du terrorisme… La bourgeoisie italienne de 1969… n’a plus besoin des erreurs des vieux anarchistes pour trouver un prétexte à la réalisation politique de sa réalité totalitaire, mais elle cherche à se fabriquer toute seule un tel prétexte, en coinçant les nouveaux anarchistes dans une machination policière… La bombe de Milan a explosé contre le prolétariat. Destinée à frapper les catégories les moins radicalisées pour les allier au pouvoir, et à battre le rappel de la bourgeoisie… : ce n’est pas un hasard s’il y a eu un massacre chez les agriculteurs (Banque Nationale de l’Agriculture) et seulement de la peur chez les bourgeois (la bombe non explosée de la Banque Commerciale). Les résultats, directs et indirects, des attentats, sont leur finalité… Mais la bourgeoisie italienne est la plus misérable d’Europe. Incapable aujourd’hui de réaliser sa propre terreur active sur le prolétariat, il ne lui reste plus qu’à tenter de communiquer à la majorité de la population sa propre terreur passive, la peur du prolétariat. Impuissante et maladroite dans la tentative d’arrêter de cette manière le mouvement révolutionnaire et de se créer en temps une force qu’elle ne possède pas, elle risque de perdre d’un seul coup ces deux possibilités. C’est ainsi que les factions les plus avancées du pouvoir (internes ou parallèles) ont dû se tromper. L’excès de faiblesse reporte la bourgeoisie italienne sur le terrain de l’excès policier : elle comprend que sa seule possibilité de sortir d’une agonie sans fin passe par le risque de la fin immédiate de son agonie. C’est ainsi que le pouvoir doit dès le début brûler la dernière carte politique avant la guerre civile où un coup d’État dont il est incapable, la double carte du faux “péril anarchiste” (pour la droite) et du faux “péril fasciste” (pour la gauche) dans le but de masquer et de rendre possible son offensive contre le véritable danger : le prolétariat. De plus l’acte par lequel la bourgeoisie tente aujourd’hui de conjuguer la guerre civile est en réalité son premier acte de guerre civile… Il ne s’agit donc plus pour le prolétariat de l’éviter ou de la commencer, mais de la vaincre… Celui-ci a désormais commencé à comprendre que ce n’est pas par la violence partielle qu’il peut la gagner, mais par l’autogestion totale de la violence révolutionnaire et l’armement général des travailleurs organisés en conseils ouvriers. (Le prolétariat) sait donc désormais qu’il doit repousser définitivement, avec la révolution, l’idéologie de la violence en même temps que la violence de l’idéologie… Camarades : ne vous laissez pas arrêter ici… Vive le pouvoir absolu des conseils ouvriers11 » !
À lire ce texte, on peut être étonné de l’emploi constant du terme de « guerre civile » plutôt que celui de « guerre sociale » alors que par ailleurs il présente l’affrontement comme celui de l’État de la bourgeoisie italienne contre le prolétariat. Malgré l’aspect péremptoire du ton, faut-il y voir une hésitation sur la place des groupes d’extrême droite dans les massacres ? Cette insistance à vouloir a priori écarter toute possibilité d’intervention fasciste et de coup d’État fasciste, alors qu’il y a eu, au moins, une tentative réelle, avortée il est vrai, est une prémisse nécessaire à la théorie du complot qui sera développée plus tard. Pour en préparer la mise en place, Sanguinetti nous fait un rapide historique des infiltrations policières au sein du mouvement révolutionnaire russe, comme si ces infiltrations avaient empêché les révolutions de 1905 et 1917 ! Cet argument devient encore plus improbable puisque, du fait de la lutte armée diffuse qui va se développer à partir de 1975, ce seraient des dizaines et des dizaines de groupes qu’il aurait alors fallu infiltrer12. La mise en place de la loi sur les repentis détruit d’ailleurs l’idée que les infiltrations sont essentielles pour le pouvoir d’État. Le repenti n’est pas un élément infiltré, mais un élément retourné parce que les infiltrations n’ont eu aucun effet notable, pas plus qu’ils n’en avaient eu d’ailleurs au sein de la Mafia. Quand Sanguinetti argue d’avoir rencontré de nombreux ouvriers (p. 123) beaucoup plus malins que les dirigeants du mouvement extra-parlementaire, qui lui ont dit que « Aldo Moro, c’est eux qui l’ont enlevé », « eux » signifiant l’État, il est à croire que c’est lui qui s’est fait berner par ces ouvriers qui n’ont fait ici que reproduire ce que le PCI faisait subrepticement passer comme version officielle, dans toutes ses cellules de base pour éviter une contagion en direction des groupes de lutte armée. Mais ce message ne passait pas, à tel point, que syndicat et parti en arrivèrent à dissoudre des sections syndicales entières, comme à Magneti-Marelli plutôt que de risquer de se tromper sur les véritables fauteurs de troubles en constatant l’arrestation de délégués syndicaux pris par la police les armes à la main comme cela arriva à Baglioni.
Le jugement final de Sanguinetti sur la question est sans appel : le terrorisme ne doit pas être jugé d’une manière abstraite comme le fait Lotta Continua qui argumente et polémique autour de la question métaphysique de la violence, ni d’admirer, comme le font les autonomes, la capacité organisative des BR, mais uniquement sur la base du résultat : À qui profite le crime permettrait de remonter à son auteur ! Ce cynisme stratégique de l’analyse n’est à la limite envisageable que pour le cas Moro. Si l’accroissement des pratiques armées immédiatement après la mort de Moro a semblé donner raison à Sanguinetti sur le moment, la répression qui s’abat sur l’ensemble du mouvement dès 1979, puis la désintégration des deux principaux groupes de lutte armée infirment plutôt sa vision. En fait, pour Sanguinetti, le terrorisme ne pouvait que se développer dans un pays à État faible parce que cet État ne pouvait pas vraiment répondre par un autre moyen, plus politique que policier, au retour du prolétariat sur la scène de l’histoire et de la révolution. L’État italien n’est pas l’État français. Mais cette interprétation supposait que cette offensive prolétarienne allait prendre de plus en plus d’ampleur (Mai-68 français, Mai rampant italien, Révolution portugaise 1974-75, Gdansk polonais, 1977 italien) alors qu’internationalement elle était défaite partout et que 1977 se trouvait du coup relever de l’exception. Cela nécessitait aussi de faire l’impasse sur le fait que la lutte armée était partie des usines où les luttes avaient été les plus nombreuses et intenses, d’abord par délégation des actes de l’intérieur vers l’extérieur, pour des raisons de sécurité, puis directement de la part d’ouvriers radicaux qui se retrouvaient sur des listes noires de la direction ou de la police et étaient obligés de passer à la clandestinité pour ne pas être condamnés13.
En fait, pour Sanguinetti et Debord, le mouvement italien était coupable de ne pas s’être hissé au niveau de la théorie de l’IS, au niveau de l’autogestion généralisée, et de la critique de toutes les formes de léninisme (cf. Du terrorisme et de l’État, p. 91)14. Comme le dit Scalzone avec ironie, quand le prolétariat ne suit pas les directives de l’avant-garde, il faudrait pouvoir le dissoudre. Mais, finalement c’est bien l’IS qui sera dissoute, quant au prolétariat…
Dans la Préface à la quatrième édition italienne de La société du spectacle, Debord avance : « C’est ainsi qu’en Italie, le S.I.M., Service des Informations Militaires, du régime fasciste, si fameux pour ses sabotages et ses assassinats à l’étranger, était devenu le S.I.D., Service des Informations de la Défense, sous le régime démocrate-chrétien. D’ailleurs, quand on a programmé sur un ordinateur une espèce de doctrine-robot de la “brigade rouge”, lugubre caricature de ce que l’on serait réputé penser et faire si l’on préconise la disparition de cet État, un lapsus de l’ordinateur — tant il est vrai que ces machines-là dépendent de l’inconscient de ceux qui les informent — a fait attribuer au seul pseudo-concept que répète automatiquement la “brigade rouge”, ce sigle de S.I.M., voulant dire pour cette fois “Société Internationale des Multinationales”. Ce S.I.D., “baigné de sang italien” a dû être récemment dissous parce que, comme l’État l’avoue post festum, c’est lui qui, depuis 1969, exécutait directement, le plus souvent mais non toujours à la bombe, cette longue série de massacres que l’on attribuait, selon les saisons, aux anarchistes, aux néo-fascistes ou aux situationnistes. Maintenant que la “brigade rouge” fait exactement le travail, et pour une fois au moins avec une valeur opérationnelle très supérieure, il ne peut évidemment pas la combattre : puisqu’il est dissout. Dans un service secret digne de ce nom, la dissolution est secrète. On ne peut donc pas distinguer quelle proportion des effectifs a été admise à une honorable retraite ; quelle autre a été affectée à la “brigade rouge”15 ».
Ce passage constitue, pour Paolo Persichetti et Oreste Scalzone (op. cit., p. 117), une série d’erreurs, factuelles ou de fond, assez étonnante. Tout d’abord, Debord se trompe dans les sigles confondant pour le SIM, le S de Stato (L’État) et le S de Société puis le I d’impérialiste avec le I d’International ne se rendant pas compte du pléonasme ainsi produit entre international et multinational. Ensuite que signifie cette expression « brigade rouge » au singulier plutôt que « Brigades Rouges » au pluriel ? Doit-on la comprendre comme l’expression la plus concise du fait qu’il s’agissait d’une émanation de l’État ou n’est-ce qu’une figure de style ?
Nous pouvons citer presque intégralement, pour la faire notre, la critique que lui adresse Scalzone sur le fait que Debord fut fort mécontent que la théorie situationniste mette autant de temps à s’implanter en Italie et à influer sur un mouvement qui préférait développer ses tendances guévaristes et cryptoléninistes ; qu’en conséquence de quoi, Debord a « dissout le mouvement italien pour en élire un autre »16.
Pourtant, cette vision conspirationniste de Debord et Sanguinetti va sembler, se confirmer dans un premier temps, avec l’enlèvement puis l’assassinat d’Aldo Moro. En effet, Debord, dès le 21 avril 1978, soit un mois seulement après l’enlèvement de Moro, écrit à Sanguinetti : « La “Brigade Rouge” a fait des progrès constants depuis la bombe de Milan, dans l’inflation des enjeux — Moro est plus que Calabresi — mais non dans ses méthodes : ils ont toujours su tuer efficacement, et l’exploitation des coups souffre encore de la mise en scène pauvre, illogique, pleine d’hésitations et de contradictions17 ». Et ayant écrit cela, il cherche l’approbation de celui qui avait été son alter ego depuis 1972, Sanguinetti. Mais celui-ci s’avère plus rétif que prévu ; dans un premier temps, il prétend que l’analyse de Debord correspond parfaitement à un pamphlet inachevé dans lequel il donne entre autres preuves que « si c’était vraiment des gauchistes à faire ce coup, alors cela signifierait que pour la première fois l’État italien ne nous mentait pas, en matière de terrorisme ; mais cela étant inouï, doit être exclu et qu’en ce qui concerne les BR, fort capables de tirer dans les jambes des dirigeants, voire d’en tuer un de temps à autre, elles ne peuvent pas être capables, je ne dis pas de réussir un coup pareil, mais de l’imaginer18 ». Puis il rajoute un peu plus tard : « C’est un fait hors de discussion qu’il y a beaucoup de gauchistes en Italie qui sont devenus terroristes dans ces dernières années, et parmi eux bien de jeunes ouvriers (seulement les groupes connus sont une centaine) ; il reste à voir si un coup pareil est hors de leur portée, ou non. […]. Nos terroristes ne sont pas des aigles, mais nos services secrets sont inexistants. […]. Quant à l’efficacité de notre police et de nos carabiniers, pour me servir de ton mot, “poser la question, c’est déjà y répondre”. […]. Le fait que le terrorisme porte l’eau au moulin du spectacle ne prouve pas que ce soient les tenants du spectacle à le diriger toujours, ni prouve que les Brigades Rouges soient noires comme disent les staliniens ; cela prouve tout d’abord que les tenants du spectacle sont encore en état d’exploiter ce que leur police n’arrive pas à réprimer, et prouve encore l’inconscience et l’impuissance du choix terroriste, et prouve encore que le système est incomparablement plus capable d’encaisser ces coups que de les empêcher. Je dirais que, depuis quelque temps, en Italie comme en Allemagne, les terroristes réussissent techniquement tous les coups qu’ils font. Ce qui démontre l’extrême fragilité de ces systèmes vis-à-vis de ce phénomène »19. On ne saura pas si c’est de gaîté de cœur, mais ce qu’il y a de sûr c’est que Sanguinetti n’a pu ignorer plus longtemps la réalité pour y opposer l’abstraction d’une théorie qui s’avérait inopérante pour comprendre et analyser les événements. Il ne s’agissait pas uniquement de se focaliser sur les BR puisque la violence diffuse allait amener la prolifération des groupes de lutte armée20 comme Gianfranco Faina et le groupe Azione Rivoluzionaria. Les débats entre pro et anti passage à la lutte armée font rage21.
Pour clore ce dossier, nous citerons Mario Lippolis, un communiste de gauche de Gênes qui fut particulièrement influencé par les thèses de l’IS22. Voilà ce qu’il dit dans une correspondance avec la très intéressante revue post-situationniste Nouvelles de nulle part (2002) : « Vous écrivez que la thèse sur le terrorisme italien formulée par Debord en 1979 est aujourd’hui “généralement admise23”. Cela ne me paraît pas si évident, et d’ailleurs, quand bien même elle serait généralement admise, le texte de Bellocchio est là pour rappeler en quelle estime il faut tenir les opinions communément reçues durant ces vingt-cinq dernières années sur le “68” italien, ses prolongements et ses conséquences. Il me que semble que cette thèse qu’aucun de mes amis qui ont participé au “68” italien n’a jamais acceptée, n’est plus guère soutenue aujourd’hui que par le sénateur Flamigni, ex-membre du PCI. Et pourtant, contrairement à ce que vous affirmez, Debord se trouvait dès 1979 en fâcheuse compagnie sur cette question, puisque, dès la naissance des BR, le PCI nia durant des années leur existence, soutenant précisément qu’il s’agissait de provocateurs des services secrets (ou fascistes) jetés dans l’arène par le pouvoir contre le mouvement ouvrier. Pendant longtemps, les groupuscules de “bolchéviques ressuscités” qui servaient de mouche du coche au parti stalinien, noircirent les murs d’inscriptions telles que “BR=Police”, etc. Et lorsqu’en 1978 il y eut l’enlèvement d’Aldo Moro, l’appareil du PCI et de la CGIL répandit dans les sections la rumeur, que les militants propageaient dans les rues, les usines et les bars, selon laquelle “Moro se sont eux qui l’ont”, “Ils savent où il est”, “Moro est à l’abri dans un ministère”, “les BR n’existent pas, ce sont toujours eux”, etc. Naturellement, la direction du parti qui, aussitôt après l’enlèvement, était entrée dans l’alliance gouvernementale avec Andreotti et la loge P2, se gardait de soutenir ouvertement de tels propos.
Après que les “arrestations”, les “repentis” ou les “dissociations” eurent révélé l’identité de presque tous les membres des groupes armés terroristes et de la plupart de leurs partisans, sans que l’on voie apparaître aucun agent de l’État (en dehors de quelques personnages pittoresques de deuxième ou troisième rang24), les staliniens mêmes durent admettre ce que les gens qui s’étaient trouvés dès l’origine au cœur du mouvement avec les yeux bien ouverts savaient déjà : que le phénomène terroriste, pour l’essentiel, n’était pas sorti tout armé, comme Minerve, du corps de l’État, mais était le produit composé de fait de jeunes (et moins jeunes) militants issus du PCI, du marxisme-léninisme et de la gauche chrétienne, nostalgiques du stalinisme de combat de leurs pères25. Le courant vaste et profond de “68”, les avait fait émerger des sédiments de la “duplicité” historique du parti de Togliatti, ravivant leurs espoirs de se hisser sur les épaules d’autrui pour “prendre le pouvoir” ».
Et Debord modifia ensuite sa thèse, l’air de rien, en la nuançant considérablement. En 1979, il avait affirmé que la force de frappe des interventions centrales de « la brigade rouge » ne pouvait « être composée que de professionnels » et que l’éventuelle existence d’une zone périphérique de petit terrorisme sincère n’était rien de plus qu’une conséquence marginale de leur action. Dans ses commentaires de 1988, cette version était posée, à distance, comme l’un des termes d’une alternative abstraite — « certains ne verraient dans le terrorisme rien de plus que quelques évidentes manipulations des services secrets ; d’autres estimeraient qu’au contraire il ne faut reprocher aux terroristes que leur manque total de sens historique » — pour pouvoir conclure qu’il « suffit d’infiltrer peu de gens en certains points du réseau pour en faire marcher, et tomber, beaucoup ».
Outre l’évidente observation que, pour infiltrer (dans la nouvelle version) « peu de gens aux points-clés, il faut qu’il y ait déjà un réseau et une entreprise terroriste sincère » et non marginale à infiltrer, ce réseau reste à ce jour, à ma connaissance, une simple pétition de principe qui n’est corroborée par aucune donnée factuelle (noms, biographies, circonstances), mais seulement par des raisonnements de type déductif fondés sur des présupposés discutables.
Lorsque j’ai critiqué ouvertement et publiquement, en son temps, cette prise de position de Debord (la seule que je ne partageais pas), je n’ai jamais parlé de « paranoïa » mais « d’intellectualisme », au sens philosophique du terme : attitude consistant, dans ce cas précis, à délaisser les observations et les inductions tirées de l’expérience directe pour entreprendre une déduction intellectuelle de la réalité à partir de raisonnements — fondés essentiellement, en l’occurrence sur le cui prodest (« à qui profite le crime »). Le tort de Debord est parfaitement décrit par cet aphorisme de Leopardi : « C’est une grande erreur de ceux qui ont à conjecturer ou à deviner les résolutions ou les actes des autres, dans les affaires privées comme dans les affaires publiques, qu’elles soient politiques ou militaires et que l’on dispose ou non d’informations, que de considérer avec toute sorte d’ingéniosité et de prudence ce qu’il est le plus utile aux gens en question de décider ou de faire, le plus approprié, le plus conforme à leur état et à celui des choses, le plus juste, le plus sage, et, l’ayant trouvé, que d’établir qu’ils feront ou décideront, ou qu’ils font et décident, précisément telle ou telle chose. Jetons un regard autour de nous sur la vie, les actions et les décisions des hommes, et nous verrons que pour dix qui sont bien faites, appropriées et utiles à ceux qui les font, il y en a mille très mal faites, absolument inappropriées, complètement inutiles. […]. Comment la recherche de ce qui leur est le plus utile et le plus approprié pourra-t-elle donc servir de règle pour deviner leurs œuvres et leurs décisions ? […] ; La véritable règle pour se tromper le moins possible et la vraie politique, dans de tels cas, est de connaître autant qu’on le peut le caractère, les habitudes et les qualités de ladite personne, les appliquer au cas dont il s’agit et, renonçant à toute sa propre prudence, se mettre à la place de l’autre plutôt en poète qu’en raisonneur, afin de conjecturer ce qu’il est sur le point de faire ou de décider… » (Zibaldone, 4058-4060, 5 avril 1824).
En France, cette polémique va perdurer avec l’apparition d’un mystérieux « Comité pour l’exécution de Dimitrov » derrière lequel semble avancer masqué Mustapha Khayati, le principal auteur de la brochure De la misère en milieu étudiant. Dans Le châtiment des tartuffes ou grande misère du petit terrorisme anti-terrorisme, on peut trouver, du propre aveu de son signataire, le « délire terroriste des bombinettes et de la reprise violente » qui occupait son esprit et celui de ses camarades, pendant qu’il accumulait le matériel nécessaire à la réalisation d’un projet demeuré sans suite. « L’idée qui nous arrêta fut d’organiser une série d’attentats qui, d’énigmatiques et surprenants au départ, révéleraient peu à peu, de par leur cheminement géographique et les communiqués qui les accompagneraient, une mise en scène outrée d’une invasion éclaire par une armée ennemie. Face à la déroute qui sévissait entre nous, nous voulions opposer les grandes manœuvres de la conquête. Et reprendre Paris après une série de villes à partir de l’Alsace. Notre stratégie était de traiter les lieux de la vie courante comme les fortins de l’ennemi, soutenant que la mitrailleuse qui est à craindre n’est pas tant celle des flics, mais plutôt à la fois celle des supermarchés qui diffusent trente-six mille produits à la seconde, et celle qui mitraille l’autre de coupages de paroles et prétentions subjectives » (source : la revue Décharge publique no 1 et unique en provenance de Strasbourg et rédigée par Brühloft, Kyrrchard, Slomé et Ulrich).
Jean-François Martos, un des traducteurs et éditeurs de Sanguinetti rempilera dans le délire en allant jusqu’à comparer Jean-Marc Rouillan et les trois autres membres d’Action directe (AD) qui venaient d’être arrêtés, avec le groupe Honneur de la police qui venait de liquider Pierre Goldman ! « Si toutes les arrestations des dernières années prouvent que la police est au courant de tout, c’est simplement qu’elle connaît forcément ce qu’elle fait elle ». (source : J.-F. Martos, Dernières révélations sur l’explosion de la rue Copernic, in Le canard enchaîné no 3131, 29 octobre 1980.) Pour certains, cette fois, il en fut trop et ils réagirent par l’édition d’un numéro de la revue L’En-dehors : « Rouillan, affirment-ils, s’est peut être trompé d’amis, il ne s’est pas trompé d’ennemi. Rouillan s’est peut être trompé de tactique, il ne s’est pas trompé d’armes et s’il s’est trompé de moment, c’est sans doute qu’il ne supportait plus comme de toujours plus nombreux individus les conditions faites à la vie. Mais il ne doit pas maintenant être le bouc-émissaire de la révolte, le pantin spectaculaire de l’État faussement et prétentieusement victorieux. La guerre sociale est plus que jamais au désordre du jour » (source : anonyme : « Encore une victime de la vieille maquerelle révolutionnaire et son cortège d’idéologies » (L’En-dehors, no 92, 1980). Dans la même veine critique, un « incontrôlé de la colonne de fer » signe une Protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1980 dans lequel il pointe le grand écart des positions de Debord qui soutient tout autonome et lutte armée en Espagne pour diffamer toutes celles qui se passent en Italie ou en France et en Allemagne. Vaneigem n’est pas épargné, lui qui avait jadis fait l’apologie de Ravachol, Cœurderoy et Durruti et qui, en 1972, allait jusqu’à affirmer que « L’organisation spectaculaire incite plus impérativement à la violence que les terroristes du passé » (in « Terrorisme ou révolution », préface à Cœurderoy, Pour la révolution, Champ Libre, 1972). Idée qu’il applique avec cohérence à son appréciation de la Fraction armée rouge allemande, « Si le poids d’une telle inversion sociale, objectivement encouragée par la logique de la marchandise, bloque le renversement de perspective, interdit le dépassement global, désespère jusqu’à la conscience révolutionnaire, isole et détruit les tentatives d’insurrection, ne nous restera que le jeu de la destruction en tous sens, le plaisir suicidaire du terrorisme, le tir au jugé dans un western social ou personne n’a démérité de la balle qui le frappe. Tout mais pas la survie. La révolution ou le terrorisme » (ibidem). Bel élan pour actualiser la geste surréaliste, mais qui ne va pas résister au temps et sept ans plus tard, il parlera des « paumés du petit matin terroriste » (in Le livre des plaisirs, Encre, 1979). Il est vrai que son orientation de plus en plus désirante et jouissive s’accommode mal de la défaite et de la traînée mortifère que le terrorisme laisse derrière lui.
En Italie, la discussion va se poursuivre avec deux textes de Piergiorgio Bellocchio26 sur le terrorisme. Ils vont être traduits pour le no 4 de la revue Nouvelles de nulle part (2003). Précisons tout d’abord que dans ces deux textes, l’auteur ne montre aucune sympathie pour les membres de la lutte armée et surtout pas pour leurs chefs. Pour lui, les BR sont des staliniens grossiers fautifs d’avoir lancé dans la lutte armée les précieuses forces de la rébellion. Néanmoins, alors que les médias et la magistrature s’emploient de plus en plus à rechercher le comment du terrorisme, ils en oublient de plus en plus de chercher le pourquoi. Or se pencher sur le pourquoi, c’est pour nous revenir à la question de la théorie du complot et à sa critique à partir du moment où on ne cherche pas à bâtir des feuilletons, mais à partir du mouvement social de l’époque et c’est ce que fait Bellocchio quand il énonce que le terrorisme est aussi refus et tentative de dépasser la passivité.
Le premier texte : « Réflexions à voix haute sur le terrorisme et le pouvoir »27 (1980), fait état d’un divorce important entre l’opinion publique et le pouvoir quant au rapport à la lutte armée du fait du profond mépris qu’éprouve le peuple italien par rapport à sa classe dirigeante. Le fait est que chez nombre d’ouvriers on retrouvait des positions proches de celles des présumés terroristes.
En effet, quand des théoriciens du PCI, comme Tronti, ex-opéraïste, mettent en avant une « autonomie du politique », beaucoup d’ouvriers répondent par une autonomie à l’égard de la politique. Ce mépris pour la classe dirigeante est justifié par l’incurie de ceux qui gouvernent, leur corruption et cette situation gagne les individus dominés qui choisissent les politiques les plus clientélistes pour défendre leurs petits intérêts ou privilèges. Dans cette mesure, en temps calme, le mépris peut coexister avec la soumission sans que cela fasse trop de vague ; De chaque côté, dominants comme dominés, c’est le règne de la débrouille.
Seulement, dans une période plus conflictuelle dans laquelle percent les antagonismes, il n’en est plus de même. Il y a des individus, des jeunes, des prolétaires qui refusent tout cela et c’est ça qui importe et non de savoir qui tire les ficelles. Ceux qui choisissent la lutte armée ne sont donc pas des « loups enragés » (Scalfari dans La Repubblica) ou des « Mongols de Gengis Khân » (Alberoni dans le Corriere della Sera), mais des individus qui se sont faits un jugement auquel ils attribuent une valeur politique et éthique. Dans une note de la page 76, l’auteur fait remarquer que cette dimension politique et éthique était plus forte à l’origine, où il s’agissait de se distinguer absolument des moyens employés par les fascistes, où les expropriations n’étaient pas encore moyen d’auto-financement mais attaque contre le système bourgeois, par opposition à une seconde période où brouiller les pistes avec les fascistes est devenu un jeu politique, où l’action de l’activiste de base ne prend son sens qu’au niveau supérieur de l’organisation, comme dans la mafia. Cette remarque est assez juste, mais reste très extérieure à l’objet de sa critique et plus qu’extérieure, on pourrait dire étrangère. En effet, elle ne tient pas compte de deux choses : tout d’abord que les actions d’autofinancement existent dès l’origine dans des structures semi-clandestines de groupes comme PO et LC qui ne sont pourtant pas des groupes de lutte armée ; ensuite, si on en croit beaucoup d’opposants à la ligne militariste qui l’emporte à partir de 1976, les militants qui passent à la lutte armée sont souvent les plus généreux (dixit Sofri quand il parle de ceux qui ont quitté LC pour créer Prima Linea) à quelques exceptions près comme Savasta.
Cette difficulté apparaît dans une remarque de Bellocchio sur le slogan « Ni avec les BR, ni avec l’État ». Il le croît juste en soi, mais insincère, hypocrite et idéologique, car finalement la plupart de ceux qui jugèrent politiquement ou moralement les BR étaient plus insérés dans le système qu’ils ne voulaient le faire croire. Comme le disent à peu près Persichetti et Scalzone, si les groupes de lutte armée constituaient une partie du mouvement la critique qui pouvait leur être faite ne pouvait qu’être interne au mouvement et donc ne pas mettre État et BR sur le même plan, ce à quoi aboutit finalement le slogan. C’est apparemment un argument, proche de ceux de Lippolis et de nous, que quelqu’un d’aussi éloigné dans le temps des mouvements de l’époque, que Mandosio (à l’initiative de la pourtant intéressante revue Nouvelles de nulle part), ne peut pas entendre. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer puisqu’il reprend la discussion, dans les années vingt cette fois, d’une part avec Lippolis, d’autre part avec le groupe italien 415 et enfin avec le principal animateur de ce groupe Gabriele Pagella28. Nous allons y revenir.
Bellocchio finit son article en dénonçant la criminalisation du Mouvement et en appelle, comme Scalzone, à l’amnistie.
Le second texte : « Le terroriste au goût du jour » (1981) est plus bref (p. 69-71) et analyse l’interview d’un militant BR en prison. Au-delà de l’aspect anecdotique de la « confession », Bellocchio fait apparaître sa différence de démarche par rapport à celle qui recherche uniquement le « A qui profite le crime ? ». Pour lui ce qui compte, en plus de comprendre le pourquoi, ce sont les effets de la lutte armée. Mais par là, il ne se pose pas en extériorité par rapport au mouvement et à la lutte armée et il interpelle les membres des groupes de lutte armée pour qu’ils assument cette part de la défaite qui ne nous laisserait plus d’autre espoir que de « limiter le déshonneur ». C’est-à-dire que contrairement à ceux qui se placent du côté du cui prodest pour théoriser le complot, il n’y a pas de jugement antérieur et de principe sur les formes du mouvement quand on le juge sur ses résultats.
Pour le groupe 41529, le terrorisme ne fait pas partie du mouvement, car « la furie brigadiste » serait apparue après l’échec de la période 1968-1977 comme réaction à la dissolution du mouvement. Un mouvement qui n’aurait été battu que « par sa propre incapacité et par son immaturité ». Le terrorisme n’a donc pas radicalisé la situation, car c’est au contraire l’absence de radicalisation du mouvement, d’approfondissement de ses prémisses qui a créé l’ersatz que fut la lutte armée. Sur le fond nous sommes d’accord avec cette dernière phrase sauf qu’il faudrait rajouter que ce passage à la lutte armée a été massif avec tout une partie de « l’autonomie diffuse » qui va plier armes et bagages pour rejoindre les groupes de lutte armée et en particulier les plus mouvementistes d’entre eux. Mais par contre nous ne pouvons accepter le découpage temporel de 415 qui ignore le long processus de maturation d’une violence qui s’ancre dans des groupes comme PotOp et LC par l’intermédiaire de leur service d’ordre pour LC, d’une branche chargée des opérations spéciales pour PotOp, avant que les BR ne mènent leurs propres actions.
Ce qui distingue ces deux premiers groupes des BR ou des GAP de Feltrinelli, c’est tout d’abord qu’ils agissent en tant que groupes politiques et non en tant que groupes politico-militaires ; ensuite, c’est qu’ils pensent une violence révolutionnaire en termes insurrectionnistes de masse (au congrès de PotOp de 1971) alors que les GAP, par exemple ou Franceschini à l’origine, avec son groupe de la fédération de la jeunesse communiste de Reggio (FGCI) sont plutôt dans la logique guévariste du foco.
Pagella va compléter son argumentaire par une lettre personnelle qui fait suite au texte de 415. Il affirme que contrairement à l’époque où Debord s’est prononcé sur la question, à chaud donc, nous aurions aujourd’hui, tous les éléments du puzzle qui nous permettraient de faire tomber les phantasmes de complot. Ce qui paraissait être, d’évidence, le fruit d’infiltrations policières ou des services secrets (par incrédulité par rapport à ce qui s’était passé) aurait été levé par les révélations, aussi bien celles des repentis que celles des anciens irréductibles. Pour Pagella ce sont donc de « vrais gauchistes » qui ont obtenu de si éclatants résultats… pour le système en place ! Pagella reconnaît donc l’erreur de départ des thèses de Debord et Sanguinetti, reprises par lui d’ailleurs, mais s’il abandonne le cui prodest c’est pour mieux se rallier à une théorie qui juge les actions uniquement du point de vue du résultat, ici la défaite du mouvement. Il fait ainsi comme si la défaite était le fait des groupes de lutte armée, alors qu’il prétendait auparavant que le développement de cette lutte armée était uniquement dû aux limites intrinsèques au mouvement. Il y a là une incohérence de premier ordre et malheureusement une vieille antienne des groupes qui se prétendent radicaux qui est de ne jamais reconnaître franchement une erreur politique.
Il termine en faisant remarquer que Debord, lui-même, est revenu sur sa thèse du complot30 en reconnaissant (qu’) « un État dans la gestion duquel s’installe durablement un grand déficit de connaissance historique ne peut plus être conduit stratégiquement ».
Dans sa réponse, dans le même numéro, Mandosio va lui aussi nuancer son allégeance aux thèses d’origine en reconnaissant qu’il y a bien eu un gauchisme armé réel, mais qu’il ne fût pas une pure création des services secrets ne signifie pas qu’il n’ait pas été manipulé par ceux-ci. C’est finalement la thèse de Franceschini que nous aborderons plus tard. Pour appuyer sa remarque, Mandosio fait référence à un article du journal Le Monde, signé Salvatore Aloïse, son correspondant à Rome, mais dont-il ne nous dit rien, pour simplement nous montrer que les groupes d’extrême droite étaient bien manipulés alors pourquoi pas ceux d’extrême gauche31. On voit la faiblesse de l’argumentation dans un amalgame qui montre bien l’extériorité de Mandosio par rapport à toute cette période, une extériorité non seulement générationnelle, mais politique qui le fait se tenir à distance, dans la position du scientifique ou du juste, sans comprendre donc que l’une des différences entre extrême droite et extrême gauche résidait dans le fait que pour la première il n’y avait pas d’incompatibilité politique absolue à travailler avec l’État. Au niveau factuel, il méconnaît le fait que PotOp dénonça immédiatement les attentats de 69 comme des attentats commis par l’État (ce groupe n’avait d’ailleurs pas de fibre anti-fasciste particulière). C’est plutôt chez les marxistes-léninistes qu’on défendit longtemps un coup des fascistes et ça se ressent malheureusement dans l’interprétation qui est donnée des faits dans le livre L’État massacre qui fut le premier livre diffusé en France sur ces événements tragiques32.
Suit une accumulation d’assertions approximatives sur la différence entre les premières BR, très “amateures” quant au terrorisme par rapport au “professionnalisme” des secondes, sans qu’il tienne compte d’une maturation inévitable à travers l’accumulation d’expérience et surtout sans tenir compte du changement que procure le passage d’une situation ou personne n’est clandestin, à part Franceschini, à une autre ou être clandestin devient la condition d’appartenance à l’organisation ; des erreurs sur les changements à la tête des BR avec Senzani annoncé comme le successeur de Moretti à la tête de l’organisation alors qu’il en dirigeait le front des prisons avant de fonder le Parti Communiste Combattant (PCC) au moment de l’éclatement des BR et sur la tendance à la dissociation qu’auraient éprouvé les brigadistes, alors qu’elle concerne très peu les membres des BR mais plutôt ceux de PL ; confusionnisme quand Mandosio accuse les « intellectuels va-t-en-guerre », Negri, Sofri, Scalzone d’avoir soutenu la lutte armée. Il amalgame une position pour un insurrectionnisme de masse et une position de foquisme armé33.
Là où Mandosio a raison, c’est d’insister sur la différence entre les actions anti-OGM qui tout en pouvant être violentes ne constituent pas une tentative d’organiser militairement une avant-garde et une structure partitiste et hiérarchisée nécessaire à une action armée. Mais il se trompe en pensant que la structure originelle des BR ait été centralisée. Et lui qui fait parfois référence à Franceschini devrait le faire pour ça aussi quand ce dernier montre l’opposition que lui-même, Cagol et Curzio entretenaient avec la ligne dite du « superclan », hiérarchisé et clandestin. Ce n’est pas la volonté de militarisation, mais la nécessité d’une hiérarchisation technique propre à une clandestinité, qui sépare les noyaux actifs en autant de cellules horizontales sans contact qui vont entraîner le passage à une seconde phase plus organisée, mais dans laquelle la compartimentation horizontale est plus importante que la division hiérarchique verticale. D’ailleurs, tous les témoins externes ou internes à l’organisation font remarquer à quel point elle manquait de leader ayant du charisme. Ceux-ci se trouvaient plutôt à l’extérieur d’une organisation dont il faut critiquer la mentalité de petits fonctionnaires de la subversion. Les juges et la police n’étaient d’ailleurs pas dupes qui essaieront de coller la responsabilité stratégique de la lutte armée aux « mauvais maîtres » Negri, Piperno, Scalzone et Sofri, pourtant restés extérieurs aux groupes de lutte armée.
Ce processus de militarisation s’explique aussi par une tendance à la spécialisation des fonctions. Par exemple, les ouvriers se spécialisaient assez logiquement dans la lutte anti-travail (grèves, absentéisme et turn-over), mais la discipline d’usine n’étant pas un vain mot il leur était difficile d’attaquer la maîtrise, les cadres ou le patron de face. Les groupes extérieurs comme les BR ne furent au départ que des auxiliaires de la vengeance des ouvriers qui voulaient frapper plus fort, mais sans endurer les risques de l’action illégale violente. Cela tombait bien puisque les BR étaient prêts à endosser le costume. La contre-violence de l’État fit le reste qui va conduire les BR, puis PL vers un justicialisme tournant à une caricature de justice populaire.
Le type d’organisation nécessaire à ces actions ne pouvait que se modifier pour atteindre à l’efficacité technique tout en maintenant un objectif politique. Ainsi, les BR étaient surtout hiérarchisées ponctuellement par rapport aux impératifs de l’action, mais il y avait de nombreuses discussions y compris au moment de l’enlèvement de Moro. Le problème, c’est que peu à peu, cette hiérarchisation s’est renforcée. Et contrairement à ce que dit Mandosio dans le no 6-7 des Nouvelles de nulle part, la critique de l’embrigadement par les organisations combattantes n’est pas le point le plus important ou le point moteur. En effet, cet embrigadement n’aurait pu se produire s’il n’y avait pas eu, en 1973, puis en 1976, une désagrégation des formes de conflictualité politique à travers la dissolution de PotOp et le recentrage de LC, la marche vers la voie parlementaire de AO et du Manifesto.
C’est l’ensemble du mouvement qui était concerné et pas un ou des groupes armés qui auraient été responsables de la faillite relative de la voie ouverte par le Biennio rosso et qui se refermait peu à peu.
L’hallali intervint avec la « dissociation34 ».
Une dissociation qui s’est elle-même progressivement transformée. À l’origine, elle était une tactique de défense s’inscrivant dans un contexte de différenciation par rapport à la violence politique en général et au terrorisme en particulier. Elle se distinguait clairement des attitudes extrêmes, celle du « repenti » (pentito) d’un côté, de « l’irréductible » de l’autre, sans pour cela rejoindre la position des tenants de l’amnistie sans condition (Scalzone). Mais au fur et à mesure de la mise en place d’une législation spéciale propre à l’État d’urgence décrété en Italie, la position de la dissociation a été amenée à se couler dans une problématique qui lui était étrangère, à savoir, la mise en avant non pas de la gravité objective des faits reprochés, mais celle de l’attitude subjective de l’accusé. Cela amena une seconde étape de la dissociation qui par bien des côtés se rapprochait de l’attitude du repentir35.
Il n’y a pas que le discours du Pouvoir qui se transforme, celui du dissocié aussi. Chez Negri, par exemple, l’utilisation du terme de terrorisme, à la place de celui de lutte armée, devient récurrent36 et chez les anciens dirigeants de Prima Linea c’est encore plus net où la première ligne de défense se transforme en revendication d’une nouvelle ligne politique, sorte de calque inversée de la ligne originaire (cf. Sergio Segio).
Et puis tout d’un coup, c’est l’ex-fondateur des BR, Alberto Franceschini, longtemps irréductible parmi les plus irréductibles et les plus féroces vis-à-vis des repentis et même des dissociés qui reprend la parole37. Il travaille maintenant pour une association de loisirs et de culture proche de l’ancien PCI et, comme par hasard, il reprend les positions du PCI à l’époque de l’affaire Moro. Ses vindictes contre le « militariste » Moretti, semblent au-delà d’une inimitié personnelle contre ce dernier, lui servirent de dédouanement par rapport à ses propres responsabilités dans le climat de haine qui va régner dans les prisons italiennes et qui va entraîner les exécutions sommaires de deux prisonniers politiques (G. Soldati et E. Di Rocco), considérés à tort comme des traîtres, la condamnation à mort de Negri dans le document : « Il ceto politico è nudo e pazzo », l’adhésion un temps au groupe BR-Parti guérilla, toutes choses qui ne figurent pas dans un livre qui a des aspects de règlement de compte facilité, il est vrai, par des questions souvent très orientées de la part du journaliste qui dirige l’entretien et qui est un spécialiste des histoires secrètes (il a à son actif des titres comme Segreto di stato, Il misterioso intermediario, Berlinguer dove morire dont la clarté de perspective ne nécessite pas de traduction). Quant à la postface du livre elle est rédigée par le juge qui instruisit l’affaire Moro. Franceschini était en de bonnes mains, celles qui concluent par « une complicité existe entre les “révolutionnaires” et les pouvoirs, empêchant les uns et les autres de dire ce qui s’est vraiment passé » (p. 361).
C’est un exemple de dissociation politique tardive (début des années quatre-vingt) qui s’inscrit dans le cadre des thèses judiciaires de l’accusation. Dans ce cas précis, de la théorie du complot. Franceschini fait partir son « enquête » de la mort de Feltrinelli qui aurait, déjà, été entouré de personnages peu recommandables comme d’anciens « partisans blancs » (les ex-partisans de tendance anti-communiste) et d’infiltrés. Il aurait aussi géré les relations internationales des BR de par ses contacts entretenus avec l’Amérique du Sud et les pays de l’Est, particulièrement la Tchécoslovaquie. En fait, il aurait été au centre de tout. Par exemple, il entretenait des rapports fréquents avec Pietro Secchia dirigeant du PCI quelque peu dissident et ancien commandant de partisans38. Il entretenait aussi des rapports avec Curcio et il a tendance à faire de ses derniers rapports une dépendance que les BR auraient entretenue39 avec l’éditeur au moins au niveau des relations internationales. Cela sous-entend, à demi-mot que les BR ne pouvaient donc contrôler ces relations internationales. Mais Feltrinelli ne représente qu’une première marque sur le chemin d’une théorie du complot. La seconde marque, la principale, conduit à Mario Moretti, le leader des BR après les arrestations des chefs historiques. Celui-ci aurait été manipulé, dès le début, par une tendance du Collectif Prolétaire Métropolitain, celle de Simioni, Mulinaris et Duccio qui vont se séparer du groupe principal de Curcio sur la base de la nécessité d’une super organisation clandestine agissant dans l’ombre (d’où leur sobriquet de « Superclan »). Simioni et ce groupe se réfugieront à Paris pour fonder l’école de langues Hypérion qui, d’après Franceschini, aurait constitué un centre directionnel jouant comme une troisième force entre l’Est et l’Ouest, dans une stratégie où la France aurait joué un rôle. Cette hypothèse n’a nullement été vérifiée comme celle concernant les allégations de rapports entre les services secrets israéliens et les BR.
Curcio dénonce ces assertions dans ses propres entretiens op. cit., p. 77 et p. 154 et sq, « Cela leur aurait servi à quoi ? ».
Ces accusations servent plutôt la gauche et l’État qui agitaient les ombres de la guerre froide pour occulter leurs propres responsabilités. Ce sera très net quand Bettino Craxi va chercher à faire surgir un démiurge (« le grand Vieux ») pour expliquer toute la complexité du jeu politique italien et international. Ce « grand Vieux » présente l’avantage de pouvoir changer de figure suivant les opportunités. Parfois, il s’agit de Corrado Simioni (c’est la version Franceschini), d’autres fois c’est Castro ou le Pape (là aussi Franceschini s’en donne à cœur joie en tirant des enseignements définitifs de négociations entre les BR et un émissaire du Pape à propos de l’échange de prisonniers, via Cuba, au moment de l’affaire Moro).
Pour en rester à l’affaire Moro, il faut remarquer que c’est à partir de là qu’il va y avoir une véritable médiatisation des théories du complot. Tout d’abord dans l’analyse de l’enlèvement où, après l’arrestation des membres du commando, certains vont parler du rôle d’un mystérieux quatrième homme dans l’appartement de la via Montalcini où fut enfermé Moro alors qu’on a appris plus tard, de son aveu, que celui-ci était Gennaro Maccari, militant BR du quartier populaire Centocelle de Rome.
Troisième étape : la théorie du complot va prendre une autre dimension quand Aldo Moro va parler du rôle du réseau Gladio.
Cette médiatisation sera toutefois tardive car dans un premier temps, les révélations de Moro sur les rapports du gouvernement italien avec l’OTAN vont rester secrètes puisque les BR ne les livreront pas, n’y voyant rien de particulièrement exploitable et que toute la classe politique dénoncera un faux subi sous la torture par Moro (on voit toujours ses adversaires à son image). Ni Franceschini d’un côté ni le PCI de l’autre ne pipèrent mot à l’époque et ce n’est qu’en 1990 après une déclaration officielle d’Andreotti que Franceschini va en déduire que soit les auteurs de l’enlèvement, dirigés par Moretti, étaient nuls politiquement pour ne pas s’être aperçus de l’intérêt des documents, soit ils étaient infiltrés ou manipulés. Le PCI en tira la seconde conclusion. Mais l’épisode des papiers de Moro n’est de toute façon pas central pour les BR qui n’ont pas enlevé Moro pour cela. Par contre il est central dans les luttes politiques au sein du système politique italien et s’exprime en langage codé que Moretti reconnaît avoir été incapable de vraiment saisir, n’ayant pas été élevé dans la culture politique byzantine du personnel politique italien.
Ceux qui ne le saisirent que trop bien, ce langage codé, ce sont les partis du « front de la fermeté » dont la culpabilité est telle qu’ils n’osent s’en sortir en faisant un mea culpa sur leurs responsabilités. Pour eux alors, comme pour tous les Franceschini, il n’y a plus que deux choix possibles : faire porter le chapeau à un groupe d’étudiants, de mauvais maîtres et d’ouvriers (c’est le choix du PCI et de la DC surtout) ou invoquer le spectre de Gladio, de la CIA, du KGB ou des services secrets est-allemands40.
On trouve dans le livre d’Enrico Fenzi (op. cit., p. 289 et sq), un exemple de ce côté hallucinant quand il se trouve un beau jour tiré du fond de sa prison et accusé d’avoir fourni de faux papiers et un pistolet à Ali Agça avant son attentat contre le Pape. Une accusation qui sera abandonnée très rapidement, mais qui avait atteint le stade d’une vérité possible parmi d’autres pour la police ou des magistrats.
En fait, les arguties de Franceschini sont typiques de quelqu’un qui a tourné le dos au mouvement auquel il a participé. Il ne s’agit pas du tout de l’accuser d’être un repenti, mais de dire qu’il ne comprend plus sa propre pratique de l’époque qui lui est devenue comme étrangère, quelque chose qui non seulement peut être mise à distance, mais peut être remodelée par une mémoire rétroactive qui vient supplanter la mémoire rétrospective.
Ne comprenant pas l’échec comme intrinsèque aux limites du mouvement, il cherche à nourrir l’hypothèse d’un complot de l’État comme si celui-ci n’avait pas à disposition tout un arsenal politique, juridique et judiciaire à sa disposition.
Il est dommage que face à ce « consociatisme » qui unit toute la classe politique italienne, les repentis et des dissociés comme Franceschini, nous soyons obligés de citer Cossiga qui mena la chasse aux subversifs : « J’ai combattu durement le terrorisme, mais j’ai toujours estimé que, s’il s’agit bien entendu d’un phénomène politique gravissime et blâmable, il n’en plonge pas moins ses racines dans la situation sociale particulière du pays et non dans un “humus propre à la délinquance”. Le terrorisme de gauche — qui était aussi le fruit de ceux qui, au sein des partis et de la CGIL, n’avaient pas le courage d’aller jusqu’au bout de leurs opinions. Ils professaient la “violence” au Parlement et dans “la rue”, sans pour autant assumer par la suite, c’est le moins qu’on puisse dire, la responsabilité des conséquences pratiques de leurs enseignements — naît à mon avis d’une lecture “non historique” du marxisme-léninisme et d’une “mythification” de la Résistance et de la Libération qui, dans le contenu social et politique de la gauche, a échoué parce qu’elle a conduit à la reconstitution d’un “régime des libertés bourgeoises”.
J’estime que l’extrémisme de gauche, qui n’était pas un terrorisme au sens propre (en effet, les militants ne croyaient pas qu’on puisse changer la situation politique uniquement par des actes terroristes), mais plutôt une “subversion de gauche” comme l’avait été à ses débuts le bolchévisme russe, c’est-à-dire un mouvement politique qui, se trouvant dans la situation de combattre un appareil d’État, usait de méthodes terroristes comme l’ont toujours fait tous les mouvements de libération, y compris la Résistance (l’assassinat d’un grand philosophe comme Giovanni Gentile — bien qu’il fût fasciste — alors qu’il marchait tranquillement dans la rue par des résistants des GAP florentins peut être jugé favorablement ou négativement, mais, d’un point de vue théorique, il n’en reste pas moins un acte de terrorisme), en croyant amorcer — et c’est là qu’était l’erreur, sur le plan formel — un mouvement véritablement révolutionnaire.
Vous avez été battus par l’unité politique entre la DC et le PCI et parce que vous n’avez pas su entraîner derrière vous les masses dans une véritable révolution. Mais tout ceci appartient à une période historique de l’Italie dont la page est tournée. À présent, la soi-disant justice qui s’est exercée et qui s’exerce encore à votre encontre, si elle est légalement justifiable, tient politiquement de la vengeance ou de la peur. Ce sont précisément ces mêmes sentiments qui animent nombre de communistes de cette période, convaincus d’avoir obtenu finalement une légitimité républicaine, conquise non pas à cause du suffrage populaire ni des luttes de masses, mais par le biais de leur collaboration avec les forces de police et de sécurité de l’État41 ».
En ce qui nous concerne, nous pensons que le plus important est de mettre le doigt sur l’échec politique de « l’offensive au cœur de l’État » menée par les BR. Les BR ont cru que le cœur de l’État c’était la DC et Moro et tout à coup ce qui leur est apparu c’est que l’État n’était pas un monstre monolithique et qu’avant de lui faire la guerre à elles BR, ses différentes branches se faisaient la guerre entre elles. Les BR avaient, par exemple, complètement sous-estimé le niveau d’intégration du PCI au sein du système capitaliste italien42. Si le PCI était exclu du pouvoir politique institutionnel dans les années cinquante-60, c’est une situation qui avait changé dès le milieu des années soixante-dix où il obtient des présidences et vice-présidences de commissions parlementaires et où Pietro Ingrao obtient la présidence de la Chambre des députés en 197643. Mais surtout, le pouvoir, il le partageait déjà partout ailleurs montrant par là, les transformations des rapports entre État et capital :
– au niveau des pouvoirs locaux (les traditionnelles régions rouges de l’Émilie-Romagne et de l’Italie centrale, Bologne) ;
– au niveau de l’espace judiciaire qui se démocratise par l’entrée de nouvelles générations de juges dont certains sont proches du PCI ;
– au niveau de la gestion du compromis fordiste dans l’État-Providence, incluant fortement les syndicats, mais cela n’est pas propre à l’Italie ;
– au niveau d’un important système de monopoles d’entreprises publiques et de coopératives contrôlés par la CGIL et le PCI ;
– et enfin au niveau culturel et médiatique dans le cadre de la théorie togliatienne du « parti nouveau », d’inspiration gramscienne, visant à intégrer les différentes couches sociales d’intellectuels extérieurs à la classe ouvrière au risque que ces derniers prennent la place des intellectuels organiques internes issus de la résistance et habités du traditionnel sentiment de classe.
Conscient, mais tardivement, de cette faiblesse, Mario Moretti va entamer une auto-critique : « Je me reproche seulement de ne pas avoir vu avant ce que nous avons constaté trois jours après la séquestration de Moro : le degré d’intégration du PCI dans l’État. Nous aurions agi d’une manière différente. Nous n’ignorions pas que le PCI avait pris ce chemin, mais ce fut foudroyant pour nous de découvrir à quel point ce processus avait avancé. En 1978, un front de fer se soude. Nous étions en train de faire un procès à la DC avec des arguments qui avaient été ceux de toute la gauche, qui faisaient partie d’un sentiment commun dans les années cinquante, soixante et soixante-dix. C’étaient les chefs d’inculpation, ils allaient de soi. Son ennemi historique était la DC, non les Brigades Rouges. Pas nous44 ».
C’est cette erreur qui allait les livrer non seulement à la répression, car cela ce fut aussi le cas pour l’aire de l’autonomie, mais à une répression en dehors de tout cadre juridique normal. Ainsi, l’arrestation de Peci, l’un des premiers grands repentis allait conduire non seulement à l’arrestation de plus de 200 membres des BR dans les années quatre-vingt, mais aussi à l’exécution dans leur sommeil des quatre de la via Fracchia à Gênes, le 28 mars45.
Quatrième étape : la « machination » contre Adriano Sofri[46] à propos de l’assassinat de Calabresi
Pour contrer la pratique rétrologique de l’État italien, Sofri, puis de ses deux co-inculpés de LC (Bompressi et Pietrostefani) font une relecture de l’histoire qui veut faire de LC une formation objectivement incapable du moindre rapport de violence politique, une formation qui serait liée au Biennio rosso et non au terrorisme rouge des années suivantes. Une position qui correspond à un innocentisme assez troublant de la part de responsables politiques d’un groupe et d’un journal, en l’occurrence Lotta Continua, qui appelèrent ouvertement et publiquement à la vengeance contre Calabresi.
Cette ligne de l’innocentisme sera reprise par J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini dans un article des Temps Modernes47. Pour eux, à l’époque de l’assassinat, aucun groupe d’extrême gauche ne proférait un langage de lutte armée, même pas les BR. Le coupable ne peut alors être que l’extrême droite ou l’État ou les services secrets ou un peu de tout cela puisque ces diverses fractions du pouvoir sont liés. Par extension, c’est seulement la « stratégie de la tension » qui aurait produit la lutte armée comme réaction et justification et on peut en déduire que pour nos auteurs il faut exclure, à gauche toute perspective insurrectionniste qui aurait pu inspirer les actions. La violence ne peut être que défensive et non offensive. Ou comment se refaire une virginité à bon compte48.
Une virginité que refuse vertement Erri De Luca49 en défense d’Ovidio Bompressi, à qui il s’adresse : « La ligne du “Nous ? Jamais !”, la ligne des stupéfaits était bonne pour les commanditaires, qui, ainsi, ne se déclaraient pas dirigeants d’une organisation susceptible de commettre un homicide, mais elle n’était pas bonne pour toi, car elle t’isolait de nous tous […]. Cette défense-là (celle de Sofri, ndlr) te crucifiait. Elle te coupait du groupe en échange de la respectabilité de tous les non-inculpés. C’est celle qui fut choisie et tu y consentis : par respect envers les chefs d’alors, à cause de ta fichue modestie, de ton besoin de sentir que tu faisais encore partie de cette communauté, douze ans après sa dissolution […] Mon idée était qu’il fallait admettre l’évidence, que cette accusation était compatible avec chacun de nous, avec la fièvre d’insurgés que nous avions. Mais, à dire tout cela, beaucoup de ceux qui entre temps avaient domestiqué leur passé comme simple ivresse d’une saison, seraient devenus rouges de honte. Ils se seraient trouvés en difficulté dans le fauteuil de luxe qu’ils venaient d’occuper. Compatible avec un homicide ? Quel dommage pour leur carrière […] ; Laisse-les te condamner, Ovidio, que ta vie reste clouée sur leur porte, sur leur vengeance d’exécuteur de représailles […]. Tu es étranger à l’accusateur et à l’accusé, mais tu n’es pas innocent. Lorsque nous avons jeté la première pierre, nous avons cessé d’être innocents […]. Il n’y a plus de temps ni d’envie pour une autre défense inutile, mais pour toi il est encore temps de ne pas te sentir seul car tu ne l’es pas. Pour tous ceux qui appartenaient à cette communauté et qui ensuite furent comme des exilés dans l’Italie des années quatre-vingt, tu es la fierté et le rideau sur les meilleures années de leur vie50 ».
Piperno affirmait déjà en 1980 dans L’Espresso : « La vérité, c’est que le meurtre de Calabresi marqua le début du terrorisme de gauche en Italie » et il rajoute : « S’interroger radicalement, reconnaître ses erreurs, remettre tout en question est une opération douloureuse mais sage. Rien n’est plus dangereux que la tentation de faire comme s’il ne s’était rien passé. La vérité, disait Trotski, doit être honoré non par moralisme, mais par intelligence parce qu’elle laisse dans les faits des traces multiples et indélébiles et que l’occulter est une entreprise qui finit par tout engloutir, on se retrouve alors dans la nécessité de s’occulter à soi-même sa propre histoire […] Au-delà de l’identité personnelle des terroristes qui avaient fait usage de leur arme, la responsabilité politique de cette mort était entièrement imputable au mouvement extra-parlementaire, il n’y avait aucun doute là-dessus ».
Le simple rappel de ce qui était mentionné en première page de Lotta Continua du 18 mai 1972 devrait pourtant suffire : « Un acte dans lequel les exploités reconnaissent leur propre volonté de justice ». En fait, ce qui est grave, c’est que cette position aboutit à une sanctification de la démocratie, ce qui est un comble dans le cas de l’Italie. Plus précisément, cela aboutit à ne pas tenir compte du « système d’urgence qui y sévit. Un pays de l’urgence sans fin où l’exception est la règle ». C’est parce qu’ils refusent de retenir cette thèse que les défenseurs intellectuels de Sofri en appellent à la machination (Jacqueline Risset), à l’erreur judiciaire (Carlo Guinzburg) ou enfin à la thèse du complot des services secrets (Dario Fo), mais un complot ou une erreur judiciaire pour se venger de quoi alors que l’affaire intervient seize ans après les faits ? Se venger des cadres de LC dont beaucoup (dont Sofri) sont devenus des membres de l’establishment, via leurs accointances avec Bettino Craxi et le PSI ! Silvio Berlusconi a même participé au recyclage de ces sortes de « nouveaux philosophes » à l’italienne en finançant le journal Reporter et en faisant de Giuliano Ferrara, ancien de LC et ami de Sofri, le directeur du quotidien Il Foglio. Même ceux dont on pourrait penser qu’ils défendent Sofri sans arrière-pensée (comme A. Tabucchi) essaient de faire du procès Sofri, un cas exceptionnel sans le rattacher à la réalité d’une juridiction et d’un État d’exception qui seul peut permettre de comprendre le climat politico-judiciaire de l’Italie, un climat qui s’est encore alourdi aujourd’hui que le droit devient essentiellement le droit de la victime. Tabucchi s’est depuis enlisé dans l’egocratisme le plus crasse qui lui a fait demander aux éditions Feltrinelli de choisir entre lui comme auteur maison en quelque sorte et Barbara Balzerani des BR alors encore emprisonnée, pour une éventuelle réédition de Camarade Lune qu’il trouvait scandaleuse.
Comme le disent Persichetti et Scalzone : « Il est frappant de remarquer comment dans la culture politique de souche marxiste (dans toutes ses versions, modérées ou extrêmes, institutionnelles ou extra-parlementaires), la vieille leçon de Marx sur la nécessité d’aller à la racine des choses, donc de chercher dans le profond, en dessous, se soit transformée, déjà à partir des années trente, en derrière les choses, faisant de cette théorie critique un mobile pour toute astrologie de l’occulte. Dans ce saut périlleux, il y a toute la différence qui existe entre “faire de la critique” et “défaire toute critique” sous l’effet de syndromes paranoïaques »51.
Nous terminerons par une référence à un texte de Paolo Persichetti : « Rhétorique du complot et représentation judiciaire dans les récits historiques de l’Italie contemporaine »52. Il y pointe une spécificité de la politologie italienne depuis la fin des années soixante-dix qui est de mettre l’accent sur l’action des « pouvoirs invisibles » (Norberto Bobbio), telles les mafias, loges maçonniques indépendantes, fractions incontrôlées des services secrets ou pouvoirs occultes dont la synthèse a trouvé son concept dans la notion de « double État » (Franco De Felice) développée dans la revue de l’Institut Gramsci sous le titre « Double loyauté et double État »53. Un État dans l’État donc, un État qui reste loyal par rapport à un État corrompu. Une théorie qui permet aux forces de gauche de justifier leur politique légitimiste pendant la période 1968–1977. Le coupable ne pouvait donc être qu’un « État parallèle54] » (Paolo Cucchiarelli et Aldo Giannulli) et la gauche pouvait se forger là-dessus une figure victimaire.
Le paradigme de la conjuration viendrait conforter le théorème d’un « grand complot contre la démocratie ». Les intellectuels ne sont pas les derniers à défendre cette thèse comme le montre l’article de Tabucchi paru dans Le Monde du 19 avril 2001 et cette dérive des intellectuels conduit à la confusion entre « faire de la critique » et « défaire toute critique ». Mais après tout, leur éloignement du terrain des luttes sociales et leur position sociale bien souvent comme suspendue dans les airs, peut expliquer le recours à la métaphysique du complot. Il n’en est pas de même pour des historiens et des juges qui vont se livrer à des exercices frénétiques de rétrologie (rechercher ce qu’il y a derrière). La magistrature a ainsi écrit des milliers de pages sur l’histoire contemporaine de l’Italie qui servent à statuer sur le vrai et le faux, le bien et le mal pour rendre une histoire du pays à nouveau présentable, une histoire communicationnelle qui est tout sauf un travail de recherche. La magistrature a été aidée en cela par de nombreuses commissions parlementaires purs produits du « consociatisme italien ».
Le « coupable » n’est pas qu’au sommet de l’État parallèle, il est aussi dans ses marges, dans la réapparition de « classes dangereuses », de terroristes.
Derrière ce théorème du complot apparaît le mythe fondateur de la « stratégie de la tension ».
Nous avons déjà signalé dans notre livre, le canular de Mario Capanna par rapport aux mots de Moro : « la stratégie de l’attention » ; après l’avoir rappelé, Persichetti enchaîne sur une remarque intéressante à propos de l’État. En effet, le terme de stratégie implique plusieurs choses : une capacité de combinaison de plusieurs actions pour atteindre un but bien défini et un centre directionnel unifié. « Chercher un pareil modèle dans les épisodes italiens qui ont suivi 1968 — écrit Franco Ferraresi dans un essai sur l’attentat de la Piazza Fontana55 — serait absurde — et dangereusement proche d’une théorie du complot. Le nombre d’acteurs et de structures impliqués fut trop grand, leur autonomie et différence trop marquées, le déroulement des événements trop désordonné pour que l’on puisse penser à un seul et unique plan global ».
Cela nous semble définir parfaitement la situation d’un État faible comme l’État italien.
Notes
1 – Oreste Scalzone interviewé par Serge Quadruppani, in L’anti-terrorisme en France, La Découverte, 1989. p. 148 et 149.
2 – Ibidem, p. 190-191.
3 – Pour plus de renseignements sur le réseau Gladio, on peut se reporter à un article d’Enrico Porsia, ancien militant des BR : « Le réseau Gladio et la démocratie confisquée ». Si l’article insiste sur des points importants pour la compréhension de la situation italienne, comme ceux de « souveraineté limitée » ou de « gouvernement invisible », il mentionne simplement les tendances putschistes à l’œuvre sans jamais les mêler aux tendances subversives de gauche qui laisseraient croire à une équivalence ou à une interpénétration des différentes tentatives d’abattre l’État. Il n’alimente donc pas les théories du complot et son intérêt est d’ordre informatif.
4 – B. Balzerani, Compagna Luna, Feltrinelli, 1998, p. 61 et p. 51 de la traduction française aux éditions Cambourakis, 2017. C’est la même incrédulité qui frappera Alberto Franceschini, alors dissocié, quand il se posera la question de savoir (Brigades rouges, histoire secrète des BR racontée par leur fondateur, Panama, 2005) comment la direction des BR (Moretti) avait pu atteindre la capacité logistique d’un enlèvement tel que celui d’Aldo Moro.
5 – Piperno et Scalzone : « Un révolutionnaire est tombé » (Potere Operaio, 26 mars 1972).
6 – Auteur de Colpo di stato e legge di pubblica sicurezza, Feltrinelli, 1967. Secchia, encore au PCI sera même accusé par les services secrets israéliens de travailler pour les services secrets soviétiques. Il est marginalisé au sein du Parti et ne comprend rien aux « élucubrations » des jeunes de la revue Compagni animée par Balestrini mais par contre le discours de Feltrinelli lui semble une douce musique qui lui rappelle des souvenirs et il y adhère.
7 – Un camarade de Feltrinelli, du groupe de Gênes xxii Octobre, fera savoir que lui-même faisait envoyer des lettres de Prague afin de brouiller les pistes, alors qu’il se cachait à Milan.
8 – Cf. Curcio, A visage découvert, Lieu Commun, 1993, p. 72.
9 – Interview de 1969 dans la revue Compagni.
10 – Ainsi, si on en croît A. Kyrou (1989), H. Lefebvre aurait reçu en 1961 la visite de quelques étudiants « strasbourgeois », dont Mustapha Khayati, dont le projet était de faire un maquis dans les Vosges en soutien à la lutte des Algériens. Il était prévu de faire dérailler des trains et d’attaquer des banques et la révolution se serait étendue de proche en proche. « Je leur ai dit qu’ils étaient cinglés, qu’une escouade de gendarmes ou de gardes mobiles en finirait bien vite avec leur révolution et que l’époque n’était plus à la révolution armée. Ils m’ont alors traité de salaud, en m’accusant de déranger leurs plans, et je me suis donc brouillé avec eux. Ils anticipaient en fait sur Action Directe ». Il est d’ailleurs à noter une certaine suite dans les idées si on met ce projet en rapport avec l’expérience ultérieure de Khayati au sein du mouvement gauchiste de résistance palestinienne (FDPLP) qui l’amena à démissionner de l’IS.
11 – Tract diffusé le 19 septembre 1969 à Milan.
12 – Il y a eu en fait peu d’infiltrés connus. À part Silvano Girotto (Frate Mitra) qui fit tomber Curcio, il n’y eut que quelques individus de seconde zone comme Pisetta au sein des GAP et Marra au sein des BR.
13 – Cette théorie/idéologie du complot a depuis, connu un succès considérable, à la mesure de son extension internationale avec l’attentat du 11 septembre 2001. Là aussi, les commentateurs, anti-américains le plus souvent, et qui peuvent couvrir un large arc politique de l’extrême droite à l’extrême gauche, interprètent en fonction du « A qui profite le crime ? », sans tenir compte des conflits réels par exemple entre islamisme radical et capitalisme. Là aussi, leur interprétation suppose que le système aurait besoin de surlégitimer sa domination comme si cela était encore nécessaire pour domestiquer son opposition interne, alors que, justement, cette dernière est exsangue.
14 – Du terrorisme et de l’État, 1980.
15 – G. Debord, « Préface à la quatrième édition italienne de La Société du spectacle » in Commentaires sur la société du spectacle, op. cit., p. 135-136.
16 – Persichetti et Scalzone, op. cit., p. 118. Debord est d’ailleurs coutumier du fait. Comme le fait remarquer Gérard Guégan dans le volume i de l’histoire de Champ Libre (« Cité Champagne, Esc. i, appt. 289, 95-Argenteuil : Éditions Champ Libre, Tome 1 (1968-1971) », Grasset, 2006, p. 278), dans une lettre à Sanguinetti, datée du 1er juin 1970, il se livre au même délire du complot policier à propos de Geismar et de la GP : « Maintenant Geismar fait semblant d’être en fuite, je crois, et le gouvernement fait semblant de le rechercher comme l’ennemi public no 1. Dans les semaines précédentes, le délire provocant des déclarations publiques de Geismar avait dépassé tous les records de sottise irresponsable jamais atteints par les pires bureaucrates aventuristes-opportunistes et aussi par les plus irréfléchis des anarchistes de l’histoire. Avec un côté incohérent et odieux que ni les uns ni les autres, à ma connaissance, n’avaient jamais manifesté. Dans ce cas, il faut dire qu’il y a une collusion objective entre le pouvoir et ce groupement (sur ce point les staliniens orthodoxes n’ont pas tort). On peut même se demander si la collusion subjective n’est pas poussée très loin, par la présence de policiers dans la direction de la GP. […] Il est difficile de ne pas soupçonner Geismar. Il paraît lui-même être un suspect ».
Debord procède pour la France de la même façon que pour l’Italie. Il n’y a pas une critique des pratiques ou de la théorie de la GP, mais l’idée obsessionnelle que tout ce qui apparaît comme antagonique, mais n’a pas reçu l’aval du directoire révolutionnaire que représenterait l’IS, ne peut être que manipulé. Il ne s’agit plus alors que de dénoncer des actions, des groupes, des mouvements devenus jouets d’une histoire réduite à l’histoire des complots. Triste vision policière et fin de l’Histoire pour celui qui pensait avoir produit « la théorie de son temps ». Le cas de Debord n’est pas unique. On peut être un bon théoricien et avoir un piètre sens politique.
17 – G. Debord à G. Sanguinetti, in Correspondance, Vol 2, Champ Libre.
18 – Ibidem, Lettre de Sanguinetti à Debord du 1er juin 1978.
19 – Ibidem.
20 – 8 en 1975, 24 en 1976, 77 en 1977, 179 en 1978, 217 en 1979, 73 en 1980 ! (pour les statistiques détaillées et le nombre d’attentats, on peut se reporter à I. Sommier, op. cit. p. 227).
21 – Cf. la revue Puzz, « Terrorismo o Rivoluzione » (numéro unique, juillet 1974) et « Superamento o Terrorismo » (no 20, juin-juillet 1975).
22 – Il est l’auteur, sous le pseudonyme de Wolf Woland, de Teoria radicale, lotta di classe (e terrorismo), Nautilus, Italie, 1982. Par ailleurs, la revue Maelström à laquelle il a participé a abordé ces questions dans un article du numéro de mars 84 sur le livre de Sanguinetti et dans une réponse critique au précédent article dans le numéro de novembre 85.
23 – « Ces “années de plomb” furent marquées. […]. Par la multiplication des groupes terroristes, infiltrés et manipulés par l’État et ses services parallèles […]. Cette thèse, qui parut d’une extravagance paranoïaque lorsqu’elle fut publiquement exprimée pour la première fois, en 1979, par Guy Debord dans sa préface à la quatrième édition italienne de La société du spectacle est aujourd’hui généralement admise » (p. 3). Elle est encore reprise sans discussion ni argumentation par Anselm Jappe dans une lettre parue dans le no 5 de la revue Nouvelles de nulle part, p. 105 et par Michel Bounan dans son livre Logique du terrorisme qui assimile toutes les formes de terrorisme, de droite ou de gauche et la lutte armée au terrorisme.
24 – Auxquels G. Sanguinetti semble pourtant donner foi dans son livre Du terrorisme et de l’État.
25 – Ce que Rossana Rossanda du Manifesto appelle « L’album de famille ».
26 – Frère du cinéaste Marco Bellocchio et fondateur de la revue Quaderni Piacentini (Bellocchio est originaire de Piacenza) en 1962, revue culturelle et politique assez différente des Quaderni Rossi, moins directement politique et militante, plus culturelle, au bon sens du terme.
27 – Op. cit., p. 71-77.
28 – Nous avons collaboré avec ce groupe alors que Riccardo d’Este en était encore membre et avant qu’il ne participe au comité de Temps critiques. Cette collaboration déboucha sur un livre regroupant des textes des deux groupes intitulé : Squadernare la Scuola (1995). Cette collaboration cessa après la mort de Riccardo et une préface de Pagella à la traduction italienne de Beau comme une prison qui brûle qui nous parut très discutable par son hyper-criticisme et pour tout dire un extrémisme provocateur, mais vain, annonciateur de dérives futures. Et ce qui pouvait (devait ?) arriver arriva avec un tract diffusé le 7 octobre 2001 à Turin pour le début des bombardements en Afghanistan après le 11 septembre 2001. Le tract n’invoque pas explicitement le complot, mais dans sa détestation de la puissance américaine il développe ce qui accompagne souvent les théories du complot, à savoir la critique de la finance, des banques, des usuriers. Ainsi, le président italien Ciampi est-il traité d’usurier d’État et on y apprend qu’à l’inverse l’Islam condamne l’usure !
29 – Courrier à Nouvelles de nulle part, paru dans le no 4 (2003), pages 88-92.
30 – Cf. Commentaires sur la société du spectacle, Champ libre, 1988, al. vii.
31 – De la même façon, il s’appuie, un peu plus loin sur un autre journaliste (Bole-Richard) dont la seule référence est le sénateur Flamigni et enfin une journaliste italienne (Miriam Mafai) pour qui infiltration et manipulation forment « la thèse généralement admise ». Admise par qui ? On ne le saura pas. mais on peut supposer que Mandosio se réfère implicitement à la Common decency d’Orwell.
32 – Champ Libre, 1970.
33 – Cela se poursuit dans le no 5-6 quand il trouve que l’État a fait preuve de mansuétude dans ses condamnations contre les brigadistes, la preuve en étant fourni par le fait que « l’infiltré M. Moretti » (là encore Mandosio reprend sans le dire l’argumentaire de Franceschini) serait déjà sorti de prison. Pour répondre à cela, il suffit de savoir qu’il a fait 16 ans de prison spéciale et qu’au bout de 23 ans, il n’était encore qu’en régime de semi-liberté ! Mandosio oublie aussi qu’une fois fait son « travail », un infiltré se dévoile comme l’a fait Girotto ; il ne joue pas les martyrs.
34 – Ce comportement se distingue évidemment de la position de « repenti ».
35 – Un ancien de l’autonomia milanaise rappelle bien le parcours de la dissociation : « Les mots d’ordre de l’Autonomia milanaise ont été au nombre de quatre, de sa naissance à l’après-Moro : au début, les militants BR étaient définis comme des camarades qui se trompent — ce sont des camarades comme nous, contre l’État ; durant l’enlèvement de Moro, le slogan était : “Contre l’État, mais d’une manière différente” ; immédiatement après, avec le 7 avril : “Ni avec l’État ni avec les BR” ; dans la dernière phase, le slogan est devenu, avec la dissociation, “Avec l’État, contre les BR”. Tout cela a été dit » (in Isabelle Sommier, La violence politique et son deuil, Rennes, PUR, 1998, p. 228).
36 – Negri, Italie rouge et noire, Hachette, 1985, p. 111 et sq.
37 – Op. cit, p. 151 et sq.
38 – Il aurait été empoisonné pour un livre dans lequel il exprimait un jugement positif sur les actions des BR.
39 – En fait, si l’on croit ce qu’en dit Carlo Feltrinelli dans la biographie sur son père (Senior Service, Bourgois, 2001), Feltrinelli entretenait des rapports avec de nombreux membres de groupes, y compris des groupes opérant le plus souvent au grand jour comme Potere Operaio (Fioroni, Piperno, Scalzone) et le but de l’éditeur semble avoir été celui d’essayer de les unir dans une action anti-fasciste immédiate plutôt que de les manipuler ou les contrôler. Dans tous les cas et malgré certains liens personnels amicaux, ces tentatives se traduiront par un échec.
40 – Ce qui est étonnant, c’est que chaque fois qu’une nouvelle version est avancée : c’est la CIA en sous-main qui aurait opéré (les frères Cipriani in Sovranità limitata. Storia dell’eversione atlantica in Italia, Edizioni Associate, 1987) ; c’est le KGB à la solde de Brejnev voulant faire obstacle à l’euro-communisme de Berlinguer (Alexandre Adler dans Courrier International) ; c’est le Mossad israélien (Franceschini) ; c’est le PCI qui a cherché à casser le mouvement de l’Autonomie en déclenchant par BR interposées dans l’enlèvement Moro, la répression du 7 avril (Cf. Moulier-Boutang à travers son rôle d’expert dans le film de Jorge Amat : Ciao Bella Ciao) et bien cela ne conduit pas à invalider la précédente, pourtant contradictoire. C’est comme si toutes venaient se rajouter comme autant de témoignages ou de preuves afin d’enrichir la théorie du complot. Comme le dit le dicton populaire : « Il n’y a pas de fumée sans feu ».
41 – Extrait d’une lettre de septembre 2002, adressée à Paolo Persichetti, alors en prison après son enlèvement à Paris.
42 – Adriana Faranda, ex-militante de PotOp puis membre de la direction stratégique des BR et dans l’équipe qui enleva Moro, mais en s’opposant à sa mise à mort explique : « Nous pensons aujourd’hui qu’il faut agir de l’intérieur pour transformer cet État que nous considérions comme une machine terrible, alors qu’il est en fait élastique, dynamique, susceptible de modifications et d’interventions, à condition de produire une alternative » (interview dans la prison de Palliano par Cohn-Bendit, août 1985, reproduit dans Nous l’avons tant aimée, la révolution, Barrault, 1986, p. 163).
43 – La ligne de Togliatti a toujours été de « gouverner en étant dans l’opposition ». Cette ligne va se radicaliser avec Berlinguer qui déclare en 1976 : « L’Italie n’appartenant pas au Pacte de Varsovie, je pense que de ce point de vue, nous avons la certitude absolue de pouvoir avancer sur la voie italienne vers le socialisme sans aucune contrainte […] C’est pour cela que je veux que l’Italie ne sorte pas du Pacte atlantique, et pas seulement parce que notre sortie bouleverserait l’équilibre international. Je me sens plus en sécurité, étant de ce côté, car il existe de sérieuses tentatives pour limiter notre autonomie » (Corriere della Sera, 15 juin 1976). On peut donc en déduire qu’en 1976, le PCI de Berlinguer a donné suffisamment de gages à l’État italien pour que la question de la « souveraineté limitée » ne se pose plus. Cela est cohérent avec la stratégie du compromis historique et les leçons que le PCI a tiré du coup d’État au Chili contre Allende et l’union populaire.
44 – Mario Moretti, « Brigate Rosse, una storia italiana », entretiens avec Rossana Rossanda et Carla Mosca, , Milan, Anabasi, 1994, p. 158-159.
45 – Ce n’est pas faire du sociologisme que de reconnaître qu’ils étaient bien représentatifs de la base sociologique des BR : Anna-Maria Ludman (enseignante), Riccardo Dura (prolétaire sans qualité), Pierro Panciarelli (ouvrier chez Lancia-Chivasso), Lorenzo Betassa (syndicaliste et membre du conseil d’usine de Fiat-Mirafiori).
46 – Sofri n’y croit pas quand il dit : « Il faut prendre garde à la théorie du complot parce qu’elle obscurcit l’intelligence et débouche souvent sur une explication commode » (Memoria, Sellerio, 1990, p. 139).
47 – Fournel et Zancarini : « Des historiens peu prudents, l’enjeu historiographique de l’affaire Bompressi, Pietrostefani, Sofri », in Les Temps Modernes, no 586, nov.-déc. 1997, p. 174-192.
48 – Dans Libération du 7 février 1997, la poétesse Joyce Lussu rappelait que beaucoup de ceux qui « sabrèrent le champagne le soir de la mort de Calabresi » cherchent aujourd’hui une absolution post festum.
49 – Ancien dirigeant du service d’ordre de LC, écrivain et combattant infatigable de la légitimité de la révolte de sa génération.
50 – Corriere della Sera du 14 mai 1996.
51 – Op. cit., p. 237.
52 – Paru dans la revue Drôle d’époque, no 10 (2002).
53 – Franco De Felice, "Doppia lealtà e doppio Stato" in Studi Storici, Anno 30, no 3, 1989, pp. 493-563.
54 – Paolo Cucchiarelli, Aldo Giannulli, « Lo stato parallelo. L’Italia “oscura” nei documenti e nelle relazioni della Commissione Stragi », Roma, Gamberetti Editrice, Coll. “Orienti”, 1997.
55 – « La strage di piazza Fontana » dans Storia d’Italia, Annali 12, Einaudi, 1997, p. 629.