Quatrième de couverture du numéro 9

, par Temps critiques

Si le système capitaliste contrôle matériellement et stratégiquement l’espace-temps des êtres humains en réalisant l’unification de ses formes de domination (institutionnalisation du marché mondial, dissolution des classes-sujets, généralisation des formes politiques de la démocratie autoritaire et gestionnaire), il n’en a pas moins du mal à masquer son nihilisme qui le pousse à ne concevoir de communauté que désincarnée, dans laquelle les hommes ne seraient plus que des automates ou des « ressources ».

Cette utopie du capital, certains faits nous indiquent qu’elle n’est pas près de se réaliser, et ce, pour plusieurs raisons :

1° Le système a de plus en plus de mal à se reproduire sur la base de ce qui constituait sa valeur fondamentale : le travail.
S’il y a bien encore production, si la valorisation n’en continue pas moins, tant bien que mal (elle est plus financière que productive), sa logique de puissance et de domination, et non pas seulement une logique économique, aboutit à une crise du rapport social. La remise en cause des formes du salariat et parfois du salarié lui-même, la remise en cause de la figure unitaire du travailleur-consommateur en tant qu’identité de l’individu-démocratique, enfin la précarisation des conditions de vie ; tout cela constitue une véritable poudrière.

2° Presque partout dans le monde, l’État est en position de relative faiblesse dans la mesure où il est obligé de participer à la destruction des rapports sociaux afin de se soumettre aux « contraintes extérieures », ce qui, bien entendu, contredit son rôle de garant de leur reproduction sur le territoire national. Parant au plus pressé, il doit donc tester les résistances, les nouveaux rapports de force en proposant de nouvelles réformes, quitte à les annuler ou à les aménager s’il y a des troubles. Il ne peut se contenter d’un emprise abstraite sur des individus qui auraient soi-disant intégrés que « le système » actuel est le moins mauvais des systèmes.

3° La résistance à ces transformations a commencé à changer de nature. Même si les replis identitaires perdurent, si les communautarismes se renforçent, on assiste aussi au retour d’une critique qui ne se limite pas au cercle étroit des « théoriciens » et qui s’exprime dans un refus du discours du capital (la « pensée unique »), le refus du diktat de l’économique, une méfiance vis-à-vis des médias de l’information.

L’analyse politique des contradictions précédentes peut nous conduire à des conclusions révolutionnaires, mais à condition de distinguer totalement cette révolution « politique » de la révolution « structurelle » achevée qu’a produit la lutte des classes dans l’avènement de la société du capital. Dans cette mesure, bien des thèmes utopiques du xixe siècle peuvent reprendre sens (et notamment celui de l’égalité), sans les références à une quelconque marche automatique de l’Histoire et aux mythes de la société du travail, références qui constituent l’erreur de la dialectique sur les classes. Mais la route s’annonce ardue : Il n’y a plus aujourd’hui d’unification a priori de la critique et de l’action politique, car il n’y a plus de classe qui porterait, dans sa vision, l’unification de la société. C’est désormais l’affaire de tous… et de chacun.