Version imprimable de cet article Version imprimable

Contre l’amnésie collective et sélective, soutenons les réfugiés politiques italiens

par Temps critiques

Publié dans : Violences et globalisation. Anthologie et textes de Temps critiques (volume III)


Tract rédigé et diffusé en septembre 2002 par le « Comité pour une défense politique de Paolo Persichetti ».


L’extradition, à la sauvette, de Paolo Persichetti, kidnappé le 25 août par la police française et livré à l’État italien quelques heures plus tard symbolise une collaboration non assumée de l’État français avec son homologue italien. Par-là même, la France a donc fini par répondre à une requête persistante des autorités italiennes qui, depuis 1982, réclament au moins un signe de bonne volonté du gouvernement français dans la lutte anti-terroriste. Pour le système politique italien et sa magistrature, il n’existe en effet aucune différence entre les diverses formes de violence et toutes relèvent de solutions normatives et judiciaires dites « d’urgence ». Cela veut dire : jugements sommaires, usage étendu de la délation par la loi sur les repentis, moyens coercitifs pour exiger des aveux, peines excédant toute espèce de proportionnalité. Le cas de Paolo est à cet égard éclairant puisqu’il a été condamné en appel à 22 ans d’emprisonnement pour « concours moral » dans l’exécution d’une action armée « liée à une entreprise subversive ou de terrorisme » sur le seul témoignage d’un repenti qui s’est ensuite rétracté. Or il avait été acquitté en première instance ! Il se trouve, par ailleurs, qu’il est le plus exposé parmi les quelques 84 italiens placés sous écrou extraditionnel. En effet, il est le seul dont le décret d’extradition a déjà été signé par le gouvernement Balladur en 1994 (sans avoir reçu d’application). Mais ce sont bien tous les autres réfugiés qui se retrouvent sous la menace d’une demande similaire du gouvernement italien, demande qui sera effective le 11 septembre (quel symbole !) et concernerait une quinzaine de personnes, dans un premier temps.

Pourtant, le gouvernement français a longtemps pris une position honorable en accueillant des réfugiés fuyant un État dans lequel plus de 100 000 inculpations pour subversion et participation à bande armée furent prononcées, chiffre bien supérieur aux actions armées réellement commises, mais bien inférieur aux centaines de milliers de personnes qui participèrent, de diverses façons, au mouvement révolutionnaire de l’époque. Cette répression fut d’ailleurs dénoncée par Amnesty International et de nombreux observateurs étrangers. Ce fut d’autant plus facile que l’Italie était aussi le pays des attentats-massacres, dont certains furent imputés aux anarchistes alors qu’ils émanaient de groupes factieux. L’entière classe politique au pouvoir devait, une décennie plus tard, avouer sa propre corruption et se dissoudre dans l’ignominie. Si le gouvernement français n’accorda pas automatiquement l’asile politique à tous les réfugiés, il confia à sa magistrature non « spéciale » le soin de traiter les demandes italiennes d’extradition. La plus grande partie furent repoussées comme relevant d’une « justice militaire ». Mais aujourd’hui, la France a tendance à s’aligner sur ses voisins en ce qui concerne la lutte anti-terroriste (11 septembre oblige). Or dans ce domaine, l’État italien n’a pas changé. Il est toujours celui qui maintient en prison plus de 200 personnes, pour des faits remontant à plus de 20 ans, alors que des « repentis » aux mains pleines de sang sont sortis de prison depuis fort longtemps. On peut même dire que l’Italie est à la pointe d’une conception contractuelle de la Justice qui fait de la négociation individuelle des peines et de la délation son principe. Comme le disait une lettre du 24 février 1998, adressée par des réfugiés italiens à Chirac et Jospin : « Or si l’Italie n’a pas été à même de tourner définitivement la page des années de plomb, si elle s’est empêtrée dans une “urgence sans fin” où “l’exception est la règle”, pourquoi la France devrait-elle revenir aujourd’hui sur sa propre doctrine ? ». Le gouvernement italien espère sans doute que le temps a effacé le souvenir du contexte dans lequel les événements se sont produits et qu’il peut ainsi régler de vieux comptes. 

Nous souhaitons que le gouvernement français ne perde pas tout cela de vue, quand il répondra aux demandes d’extradition d’un système politique et judiciaire plus proche de celui de la Turquie que des autres pays européens. Un système qui confond questions politiques et code pénal, surtout quand aujourd’hui gouvernent des individus qui sont une synthèse des deux. C’est un point particulièrement important car l’absence de compréhension de leur époque amène la plupart des États à ne plus concevoir les problèmes en termes traditionnels de question politique ou de question sociale, puisqu’ils n’en ont pas les solutions, mais en termes sécuritaires et judiciaires. C’est particulièrement net en Italie avec la répression massive de 1979, mais ce l’est aussi avec les dérapages de l’action mani pulite. Quand un pouvoir politique s’effondre, le pouvoir des juges ou/et des militaires est alors sans limite. Dans un tel système, les accusateurs d’hier deviennent vite les accusés d’aujourd’hui, quand ce n’est pas un processus simultané comme c’est le cas dans l’extradition de Persichetti exigée par ceux-là mêmes qui sont accusés par la justice italienne des « bavures » de Gênes. 

Comme le disent très bien Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, dans leur livre, La révolution et l’État (Dagorno, 2000) : « [il faut] refuser le recours à une thématique innocentiste, ne serait-ce que parce qu’un tel positionnement aboutit à accepter implicitement, ou du moins à subir l’inversion de la charge de la preuve » et encore « Je considère en tout cas que, dans la prochaine phase, nous n’avons pas à nous défendre mais à mettre nos inquisiteurs en accusation ». Le fait que Paolo (enseignant de sciences politiques à l’université Paris 8) et la plupart des réfugiés politiques italiens soient parfaitement intégrés dans leur vie professionnelle et plus généralement dans la société française est un élément complémentaire d’importance, mais qui ne peut servir de ligne de force à sa (leur) défense.

Dans la défense de Paolo, il y a aussi la défense de tous les sans-statut, sans-papiers ou autres, qui sont à la merci du bon vouloir des autorités, de leurs éventuels revirements.

S’il faut prendre la démocratie au mot, alors imposons-lui de respecter ses propres règles, sa propre légalité.

 

Dans la même rubrique