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Lettre à la revue Correspondance - Temps critiques

Lettre à la revue Correspondance

par Jacques Wajnsztejn

Bonjour,

Quelques remarques à propos des nos 1 et 2 de votre revue Correspondance qui me permettent de revenir sur les années 1970 et plus particulièrement sur les débats théoriques de l’époque au sein des groupes plus ou moins informels de la gauche communiste dite aussi ultra-gauche.

 

1) Évanescence éditoriale et grande misère des revues aujourd’hui

Votre remarque introductive du no 1 sur les éditeurs est la bienvenue. Leur prolifération n’est aucunement une avancée ou même le signe d’un fourmillement des idées. Je la vois plutôt comme la résultante d’une conjonction de plusieurs phénomènes :

— tout d’abord celui du repli théorique et critique après ce que je considère comme la défaite d’une époque, celle de la décennie (1967-1978) et de mouvements qui sont encore en rapport avec le fil rouge des luttes de classes, mais déjà aussi au-delà ; un repli qui s’effectue en ordre dispersé puisque, pour la plupart de ses protagonistes, le marxisme orthodoxe, y compris dans sa variante trotskiste, ainsi que l’anarchisme partidaire (cf. le congrès de Carrare à l’été 1968) en sortent déconsidérés pour les premiers parce que ceux qui s’en réclament se sont trouvés globalement contre ou à côté ou encore en dehors de ce qui s’est passé ; ou très affaiblis pour les seconds du fait de leur incapacité à se situer par rapport à des mouvements inclassables selon les catégories standards alors que se faisait pourtant sentir au sein de ces mouvements de type nouveau l’influence de l’Internationale Situationniste et de Socialisme ou Barbarie ou à un degré moindre de Noir et Rouge en France, l’influence de la théorie opéraïste en Italie, etc.

Ensuite, le déclin des groupuscules traditionnels, y compris les plus marginaux, comme le PCI bordiguiste, mais aussi la FA, ainsi que l’éclatement ou la dissolution de groupes plus récents et très actifs (IS, Révolution Internationale, Gauche prolétarienne) a fait que la critique s’est réfugiée au sein de petites revues (j’y reviendrais à propos de votre no 2) dont la visibilité n’a fait que décroître à cause de difficultés à la fois politiques et techniques. Il y a eu ainsi, un tarissement du vivier que fournissaient traditionnellement les retombées des conflits de classes et de façon plus épisodique et conjoncturelle des pratiques de révoltes ou de contestation de l’ordre existant que l’on ne pouvait comprendre dans le strict cadre d’un dernier assaut prolétarien parce que contenant aussi d’autres promesses qui ne purent s’accomplir pleinement.

La défaite une fois consommée, les bases mouvementistes qui donnaient des forces à la réflexion communiste et critique vinrent à manquer et en conséquence la dimension de plus en plus subjective et inter-personnelle des positionnements va faire que progressivement vont prédominer sautes d’humeur, polémiques et luttes de pouvoir au sein des petites revues indépendantes qui se créent alors, cultivent leurs petites différences et souffrent en plus de la fermeture progressive des librairies du mouvement (Vieille Taupe et La Commune par exemple pour Paris, Le soleil noir à Lyon), puis des librairies militantes (La Joie de lire à Paris, Fédérop à Lyon), puis enfin des librairies dont l’ouverture d’esprit permettait au moins d’y mettre des dépôts. Par ailleurs, les revues non académiques vivant quand même des retours et commentaires qu’elles suscitent ou sont censées susciter (vous devez en savoir quelque chose), produisent plus d’illusions et de déceptions que de satisfactions. Pour résumer, peu d’échanges de courriers ou toujours entre les mêmes individus avec épuisement rapide ou vaines polémiques.

Pour ma part, je pense que ces revues ne peuvent perdurer que si elles sont aussi le fruit d’un travail collectif et pas seulement collectif du point de vue d’un partage technique camouflant une forme de division du travail reproduisant des séparations critiquées par ailleurs, mais aussi du point de vue éditorial. C’est d’autant plus important si ces revues veulent rester indépendantes et réussir le tour de force de n’être ni l’officine d’un groupe politique, aussi petit soit-il, ni le cache-sexe d’un chef-gourou qui ne dit pas son nom. Il faut donc, pour éviter tous ces obstacles, qu’un véritable travail d’écriture et de discussions collectif et égalitaire dans sa visée au moins, soit entrepris et perdure. Pas facile !

Pour toutes ces raisons et avec les nouveaux moyens technologiques procurés par l’Internet aujourd’hui, monter une maison d’édition peut apparaître comme une solution de facilité et répond en même temps aux exigences de valorisation individuelle de notre époque. Comme il y a pu avoir à un certain moment « A chacun sa revue », il y a aujourd’hui « A chacun sa maison d’édition » ! Et comme vous le dites très bien, chacun à et défend son pré carré suscitant par là une concurrence discrète et un sectarisme qui ne dit pas son nom. Même si elles se prétendent « révolutionnaires » et ne se livrent pas à la même chasse au succès et à la même sélectivité que les maisons d’édition dites bourgeoises ou universitaires, elles cherchent à faire des coups ou à attirer des « pointures » (Agone, Libertalia, L’Insomniaque, l’Échappée et même Senonevero avec le livre récent de la féministe Federici). À la limite, les maisons d’édition se constituent en partis ou défendent une ligne politique (EDN pour le milieu pro-situ, Senonevero pour les communisateurs, Libertalia pour les anars, l’Échappée pour les autonomes, La Fabrique pour les insurrectionnistes, Amsterdam pour les néo-opéraïstes et maintenant les genristes, les Nuits rouges pour Mouvement Communiste ou La Découverte pour les trotskistes ou tiers-mondistes ; ou encore défendent une ligne éditoriale implicite ou conjoncturelle comme j’ai pu le constater personnellement avec l’Insomniaque1 ; ou encore veulent contrôler et se substituer aux auteurs comme j’ai pu aussi le vérifier avec Agone2 et avec Les Nuits rouges3. En conséquence de quoi, pour des individus indépendants ou des petits groupes informels, il sera plus facile de s’auto-éditer (cf. les livres des ultra gauche Bitot, J-L Roche, etc.) ou de passer par L’Harmattan (Dauvé et Nesic, Temps critiques4) en essayant d’obtenir un contrat correct (tirage gratuit, un peu de pub, un catalogue de référence, à charge de prendre pour soi la diffusion réelle). On se retrouve dans une situation ou même des auteurs universitaires qui ne sont plus « tendance » ou qui se retrouvent black listés sont obligés maintenant de passer par l’Harmattan alors qu’ils ont précédemment écrit de nombreux livres aux éditions universitaires (PUF) ou d’extrême-gauche ouverte comme Anthropos parce que personne ne veut plus les éditer (JM. Vincent, Negri, Guigou, Zarifian, Riviale, etc.).

Pour être complètement juste, on pourrait mettre les éditions Acratie à part, mais cela me paraît plus lié à la personnalité de Jean-Pierre Duteuil qu’à autre chose, car dans l’ensemble, les éditeurs anarchistes se contentent de rééditer de vieux textes des pères fondateurs ou sur la révolution espagnole ce qui permet de maintenir la continuité des références à défaut de perspectives ; et d’éditer quelques nouveaux livres qui permettent de se placer sur le marché des idées à partir du moment où on mêle à Bakounine et Proudhon les figures disparates de Spinoza, Tarde, Simondon, Reclus, et Deleuze5. La porte est alors ouverte aux colloques universitaires et à défaut aux « universités populaires ».

Il y a peu de passerelles existant entre ces livres qui semblent exister en soi comme des atomes qui n’entrent pas en résonance, qui ne se confrontent pas, ne participent ni à un approfondissement ni à un bilan, mais il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est le même processus que celui que nous avons décrit précédemment. La confrontation entre les écrits supposerait que ceux-ci soient autre chose qu’une bouteille lancée à la mer ou le fruit d’un ego ou d’un esprit militant qui continuent à tracer leur route dans la nuit. Il faudrait qu’ils soient le fruit d’un travail de longue haleine qui intègre des choses extérieures à la perspective d’origine parce que nous ne sommes plus au temps de la théorie unifiée et encore moins à celui d’une classe-sujet qui la porterait dans la pratique. Il faudrait aussi que ces écrits, les thèses présentées sortent de leur anonymat, deviennent publiques et là, malgré notre défiance par rapport à l’Internet, on a vu bouger des choses car, à notre corps défendant pour certains et c’est mon cas, il a bien fallu reconnaître qu’Internet non seulement accélérait une diffusion dont on ne peut certes contrôler l’impact réel mais il n’empêche que le nombre de lettres, commentaires et remarques s’est mis à nettement augmenter par rapport à la période noire des années 1980. La parole s’est un peu libérée même si bien évidemment il peut se « libérer » aussi beaucoup de conneries.

Je crois aussi que ces livres, forcément plus individuels que collectifs, doivent être relayés par des revues et d’autres moyens d’intervention qui les sous-tendent, en les précédant parfois, en les complétant et les affinant aussi. Ainsi, pour ne prendre que ce que je côtoie, il existe de nombreuses discussions critiques entre les revues Théorie Communiste et Temps critiques, entre Temps critiques et Krisis, mais cela ne peut constituer notre activité principale. Nos efforts de conceptualisation doivent permettre aussi une intervention pratique et politique comme nous essayons de le faire avec nos brochures Interventions (onze numéros parus), le dernier sur l’accord national interprofessionnel (ANI) ou alors dans des interventions plus d’actualité sur la question du genre (cf. site et blog) ou sur l’antisémitisme de gauche (là encore, cf. blog) sinon nous serions renvoyés à la critique que vous faites dans votre no 2 aux petits groupes ultra-gauche. 

Cette intervention peut aussi être critique quand nous cherchons à donner sens à des oppositions et points de vue différents au cours des luttes, ce que nous avons tenté en confrontant nos positions sur les blocages avec celles de L’insurrection qui vient (IQV) ou de petits groupes activistes porteurs de perspectives intéressantes parfois, mais cultivant par ailleurs un entre soi dommageable. C’est dans ce sens que nous avons écrit le livre La tentation insurrectionniste et plus récemment Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme.

 

2) Après la défaite des mouvements des années 1960-1970, le maquis des groupes informels et des revues confidentielles

Sur le no 2 , je me bornerai à quelques remarques à propos de Rupture dans la théorie de la révolution6 (Senonevero, 2003) que vous citez.

Je me permets de le faire dans la mesure où je connais bien les textes et les groupes-revues dont vous parlez, une réunion pour l’unification de ces groupes ayant même eu lieu chez moi à Lyon dans la seconde moitié des années 1970. Invariance, Le mouvement Communiste, Négation, Intervention Communiste devaient y participer avec quelques « lyonnais », certains comme moi issus du Mouvement du 22 mars lyonnais. Finalement les deux premiers groupes se récusèrent tour à tour et les présents ne purent s’entendre, car les textes de discussion devant précéder l’union ne furent en fait pas vraiment discutés puisque Intervention Communiste se présenta avec un nouveau texte que personne n’avait lu à part eux ! Petit à petit chacun retourna d’où il venait, les « lyonnais » se partageant entre les deux autres groupes… ou disparut dans la nature. Il me faut donc donner quelques précisions et corriger certaines de vos approximations bien compréhensibles d’ailleurs vu le caractère confidentiel de la chose7.

 

— approximations de contenu tout d’abord : Négation et Intervention Communiste se sont séparés définitivement à cette réunion de Lyon et n’ont donc pas pu former Théorie Communiste comme vous le dites. Si Intervention Communiste, groupe essentiellement basé à Aix et Marseille va effectivement fonder Théorie communiste avec d’ailleurs un noyau très restreint, certains anciens « aixois » quittant immédiatement le nouveau groupe, Négation, sur une base au contraire élargie aux « lyonnais », va fonder l’éphémère Crise Communiste (CC, 2 numéros, mais un seul mis en circulation). Si pour nous tous une des bases de référence théorique de départ a été une critique de l’idéologie ultra-gauche historique à partir du texte de Barrot (aujourd’hui Dauvé) Contribution à la critique de l’idéologie ultra-gauche8, ainsi que certains textes de Camatte et Invariance (sur la différence entre parti formel et parti historique ; sur la distinction entre domination formelle et domination réelle du capital), il n’en demeure pas moins que les différences entre les deux groupes ne vont faire que s’accentuer. Théorie Communiste, de son côté, développe en premier lieu une critique du programmatisme prolétarien (qu’il soit de type partidaire ou conseilliste), point commun de tous ces groupes précités et deuxièmement émet l’idée d’un rapport d’implication réciproque entre capital et travail à partir d’une analyse centrée sur Le Capital et les Grundrisse  ; de l’autre Crise Communiste explore les œuvres de jeunesse de Marx, particulièrement les Manuscrits de 1844 ce qui motive des développements sur l’activité générique, la critique du travail avec sa double contradiction (la contradiction du travail base du programmatisme du prolétariat et le travail comme contradiction qui entraîne la critique de tout programmatisme de classe), la seconde étant refusée par TC. Cette position est aujourd’hui encore défendue presque telle qu’elle par Bruno Astarian (Nicolas Will dans CC.). Après avoir fréquenté alternativement quelques réunions préparatoires au lancement de ces deux nouvelles revues, je « m’auto-exclus » (avec J-L J. avec qui j’avais déjà écrit un texte de rupture avec les Cahiers de Mai, cf. Archives) du groupe de Lyon, tout acquis aux thèses qui donneront CC, par une lettre dans laquelle nous expliquons que nous ne nous retrouvons pas dans leur représentation de plus en plus abstraite des contradictions et l’idée d’une théorie capable d’en fournir les clés parce qu’elle aurait sa propre autonomie par rapport à tout mouvement pratique ; puis je m’éloigne progressivement de TC et de son dogmatisme déterministe qui me semble tendre vers un nouveau programmatisme (ce en quoi rétrospectivement, j’estime ne pas avoir eu tort puisque son but s’est avéré de refonder la théorie communiste comme l’indique le livre de Roland Simon écrit vingt ans plus tard9).

J’ai essayé de rendre compte de tout cela dans la première partie de mon livre-bilan, Individu, révolte et terrorisme (Nautilus, 1987, épuisé et réédité par l’Harmattan, 2010)

À part le fait que la scission évoquée comporte un aspect géographique (TC à Aix-Marseille, CC à Paris-Lyon-Chambéry-Grenoble), elle recouvre aussi un aspect générationnel ou plutôt elle révèle une différence de vécu et de référence, de vécu car les membres de CC et moi-même sommes un petit plus âgés que les membres de TC et notre participation à mai 1968 a été plus importante et nous a profondément marqué. Ainsi, Astarian a encore publié une brochure sur 1968 en 2008 pour la revue Échanges et moi (avec J. Guigou), dans le même temps, le livre Mai 1968 et le mai rampant italien. À l’inverse, Théorie Communiste n’y fait jamais référence et se moque même des « derniers anciens soixante-huitards » que seraient restés, chacun dans leur registre, Dauvé et moi-même ! C’est assez logique avec leur perspective déterministe qui dénie finalement toute influence à l’événement avec un grand E. À cette aune, mai 1968 n’est qu’un moment d’un cycle de lutte. Cela apparaît d’ailleurs bien dès la première page de la préface de Danel ; je cite : « La révolution n’a rien d’automatique, elle reste à faire, mais elle ne peut se faire n’importe quand ni comme un « acte libre ». Il n’y a donc ni à commenter ce qui se passe en attendant l’explosion de la “vie” ni à tenter de forcer le mouvement en y formant un pôle “subversif”. Des luttes quotidiennes à la communisation en passant par la crise, il s’agit de comprendre le processus de la révolution, dans lequel nous engagent la production théorique et la simple existence de la société de classes ».

À noter pour finir sur ce point de la « radicalisation » unilatérale de ces groupes plus ou moins informels que cela touche un peu tous les groupes et les différences d’origine ne vont faire que s’accentuer. Le Mouvement Communiste va tirer vers le frontisme politique avec tout d’abord un soutien critique au comité de soutien démocratique à Puig Antich sous la houlette de P. Vidal-Naquet, puis son numéro 5 consacré à Ordre Nouveau. Négation critiquera ces positions comme frontistes et politistes. La rupture est consommée ; quant à Invariance, à partir de sa série la revue énonce une critique de la théorie de la valeur de Marx et finalement du rôle révolutionnaire à venir du prolétariat (j’y reviendrai dans les remarques à propos de votre no 2).

 

— des approximations dans la temporalité ensuite : Quand vous citez par exemple la revue éphémère (un seul numéro paru) Une tendance Communiste, on a l’impression que c’est la même époque que celle de Négation, Intervention Communiste et autres textes du livre-compilation de Danel alors qu’il y a presque dix années d’écart entre certains de ces textes et que les auteurs de la brochure, par exemple, n’ont jamais entretenu de lien particulier avec Théorie Communiste et proviennent d’un tout autre milieu (Lutte ouvrière, puis Révolution Internationale, puis fréquentation de Négation). Les principaux animateurs des mini groupes qui publient les brochures Une tendance communiste et Maturation Communiste ne se reconnaissent d’ailleurs pas dans la notice des pages 521-522 de la compilation de Danel. En effet, elle confond Une tendance Communiste qui est le fruit d’une réflexion collective et Maturation Communiste qui est le fruit d’un petit groupe d’individus autour de J-L Évard (Giel) et non pas aussi de James Bryant10 (Bérard) comme la notice le laisse entendre.

Comme vous le dites d’ailleurs, la perspective de Danel et de TC (il en fait encore partie à ce moment là) est celle d’un approfondissement continu de la théorie communiste une fois débarrassée de son contenu programmatique et en même temps sauvegardée de tout ce qui s’apparenterait à du modernisme (les analyses de Baudrillard, celles d’Invariance à partir de la série II, mes remarques de l’époque, etc.). On peut se poser des questions sur la réalité de cette rupture d’avec le programmatisme quand on lit aujourd’hui des revues comme TC, SIC ou Trop Loin, la revue de Dauvé et Nesic, à propos de la communisation.

Le texte de Bériou (ex-Archinoir, Négation puis CC) en préface du Socialisme en danger de Domela Nieuwenhuis (Payot) est à mon avis le meilleur texte public de l’époque, le plus synthétique11 et le plus accessible dans tous les sens du terme. Il mériterait une réédition en tiré à part même s’il figure dans le recueil établi par Danel.

Une dernière remarque sur la compilation de Danel. Elle affirme explicitement, p. 99 et 100, notice sur le groupe Pouvoir ouvrier (PO) l’irrecevabilité des textes de SoB postérieurs à la scission avec PO et donc le texte éditorial du no 35 « Recommencer la révolution » (certes du printemps 2004) mais qui est pour moi fondamental, sans parler de ces articles précédents sur le capitalisme moderne (no 31-32-33). C’est que pour TC et Danel il y a rupture et rupture. Ils ne retiennent que la « bonne » et ils rejettent celle qui va trop loin, pour eux. Nous sommes loin de la perspective pionnière de la Vieille Taupe qui exhumait tout et même parfois n’importe quoi et « débrouille-toi » !

 

— un mot maintenant à propos d’Invariance dans la mesure où je vous trouve trop expéditif et assez injuste dans votre jugement. Le problème au sujet d’Invariance, c’est qu’il y a eu beaucoup de critiques émises après coup, c’est-à-dire à partir de la fin de la série II alors que tout ce qui a été écrit avant a souvent été « pillé » sans toujours le mentionner explicitement.

— Tout d’abord il faut préciser que dès la seconde moitié des années 1960 et a fortiori dans l’immédiat après-68 il se produit une réémergence des textes oubliés des gauches germano-hollandaise et italienne ; mais comme tous les groupes dont nous avons parlé font une critique de l’idéologie gestionnaire et particulièrement de sa forme ouvrière12 (c’est le cas du Mouvement Communiste de Barrot-Dauvé comme de Négation qui publie « Lip ou la contre-révolution autogestionnaire »), la balance entre les références aux « gauches » historiques, penche sérieusement du côté de la gauche italienne jugée seule avoir eu la capacité théorique à résister à la longue période de contre-révolution amorcée dès le milieu des années 1920. Peu importe alors que cette gauche soit partidaire ou même léniniste13 au niveau du programme politique si certains de ses concepts sont opérationnels.

Ce qui comptait pour nous à l’époque, c’était ces concepts opératoires : domination formelle et réelle du capital, le couple valorisation/dévalorisation, le general intellect et le capital automate à partir du « Fragment sur les machines » de Marx dans les Grundrisse, la distinction entre parti au sens formel et au sens historique, etc. Ces concepts nous semblaient parfois « plombants » du moins pour ceux d’entre nous qui venions plutôt de l’anarchisme, mais on essayait de faire avec.

Ce qui comptait aussi c’était l’apport des traductions : la première traduction des Grundrisse de Marx date seulement de 1968 (par Dangeville pour Anthropos) or cette œuvre nous sembla vite fondamentale, car elle posait une dynamique du capital que, par la suite, Le Capital semblait avoir figée. Ce fut aussi la première traduction du chapitre VI inédit du Capital par Camatte et son commentaire aux éditions Spartacus. (Capital et Gemeinwesen).

— Ensuite, il me semble inopportun d’en rester aux dénonciations des impasses d’Invariance quand on sait à quelles impasses ont mené les conceptions théoriques des autres groupes la critiquant, ce que vous relevez d’ailleurs en parlant de textes qui ruminent toujours les mêmes concepts abscons. Mais en fait, ce qui est reproché surtout à Invariance et cela malgré le titre de la revue, c’est d’avoir réalisé une rupture avec le corpus théorique communiste alors qu’il est encore présenté comme « invariant » dans la série I ; une rupture qui reste progressive avec la série II et III même si la théorie de la valeur y est critiquée ainsi que toute notion de parti assimilé maintenant à un rackett ; une rupture plus nette encore dans les séries III et IV avec le centrage sur la nature, l’errance de l’espèce, le processus vie, le phylum, etc.

— On peut certes critiquer ce point d’arrivée, ce que je fais par exemple dans le no 11 de Temps critiques à propos du no 1 de la série V mais cela n’enlève rien à la richesse de nombre de leurs analyses antérieures dont plusieurs sont d’ailleurs postérieures à la compilation de Danel ou alors ne sont pas pris en compte parce que se situant hors champ de la « rupture » limitée et tolérable pour Théorie Communiste et ses proches.

À partir d’une lettre de deux anciens participants aux séries II et III d’Invariance, nous avons repris des échanges suivis avec eux et j’en ai profité pour revisité leurs positions de l’époque sur la valeur et les confronter à celles de Temps critiques. Ce matériel est consultable sur notre site sous le titre : « 20 ans après, retour sur la revue Invariance  ». Cette revisitation n’est pas due à une quelconque nostalgie d’une époque mais au fait qu’on ne peut nier ou renier ce qui vous a influencé même si cette influence est globalement composite et pas sans réserve ou distance. C’est aussi le signe, à mon avis, que contrairement à ce qu’on disait dans les années 1970 dans les groupes dont nous venons de parler, la théorie ne dépasse rien en elle-même, qu’elle n’a pas d’autonomie propre même s’il ne faut pas, à l’inverse, chercher la confirmation de sa véracité à chaque événement. D’une certaine façon il faut sans arrêt reprendre les choses, mais bien sûr ce n’est pas un passage obligé pour tout le monde. Heureusement d’ailleurs. 

On n’a rien dépassé parce qu’il n’y a pas eu révolution et que c’est la révolution du capital qui a finalement vaincu (provisoirement ?). Le fil rouge des luttes de classes s’est rompu (cf. notre no 12) et nombreux sont ceux qui, ayant participé aux groupes précités, en ont fait, d’une manière ou d’une autre, le constat. Cela les a souvent conduit à cultiver leur jardin au sens voltairien du terme ou au sens biologique peu importe finalement ; ou pire à céder au révisionnisme ou aux sirènes de l’extrême droite « anticapitaliste » ; ou bien encore à tenter des bilans critiques comme nous avons essayé de le faire conjointement en France, RFA et Italie avec Temps critiques en 1989.

 

— et de Bordiga : Lui et la gauche italienne ne sont pas à proprement parlé léninistes. Dès la création du PCI et sous la direction de Bordiga, les différences avec les bolchéviques sautent aux yeux, particulièrement sur les questions du parlementarisme, du syndicalisme, sur le caractère avant tout national ou international de chaque parti communiste. Une fois Mussolini au pouvoir, Gramsci en prison et Bordiga en résidence surveillée sur l’île de Lipari, Moscou décide de briser l’ancienne direction du parti en donnant plein pouvoir à Togliatti censé représenter Gramsci qui, en son absence puis à sa mort est érigé en icône contre la « ligne » Bordiga. Cette ligne Bordiga va regrouper en exil ce qu’on appellera par la suite « la fraction italienne » puis la « gauche italienne ». Elle reste favorable à la constitution d’un parti, mais refuse la conception léniniste du parti de masse14 (le parti formel) et aussi la constitution d’un parti quand les conditions ne sont pas réunies (le parti historique qui peut ne comprendre qu’une personne quand la contre-révolution domine. Exemple du « Parti-Marx » une fois prononcée la dissolution de la Première Internationale). Quand les conditions ne sont pas prêtes alors il n’existe de place que pour des « fractions communistes ».

 

— dans votre critique de « La révolution sera communiste ou ne sera pas », vous signalez bien les impasses d’affirmations théoriques abstraites qui négligent toute historicité, tout événement et finalement le fait que le capital, pour être un rapport social, doit bien quelque part contenir des éléments d’antagonisme15 et pas seulement un aspect de dépendance réciproque entre les classes. C’est encore le problème aujourd’hui même si, pour notre part, nous ne le posons plus en termes de luttes de classes. Mais à l’époque déjà nous butions, par exemple avec Négation et aussi après sur la difficulté non tant à conceptualiser la remise en cause du travail dans les luttes des années 1960-70 mais sur l’importance qu’il fallait lui accorder dans le cadre des pratiques critiques concrètes de « refus du travail ». En France comme en Italie il s’est avéré que nous avons sous-estimé le poids de l’idéologie du travail au sein de la classe ouvrière, le poids du travail comme lien social mais aussi comme puissance potentielle d’une classe qui n’était pas que « capital variable » comme nous la qualifions à l’époque pour bien lui signifier son absence d’autonomie ou alors, comme en Italie, pour dire qu’il fallait absolument dépasser cette dimension pour atteindre à « la classe » (cf. la théorie de Tronti sur l’autonomie ouvrière dans son livre Ouvriers et capital, Bourgois, 1977). Là où il était encore question d’affirmation de sa propre puissance (toujours la théorie opéraïste), nous insistions au contraire sur la nécessité qu’elle produise son auto-négation ! Nous ne saisissions pas le caractère double de l’époque ; à la fois un dernier soulèvement ouvrier/prolétarien et déjà autre chose et nous insistions surtout sur le autre chose, négligeant le fait que tout n ’allait pas à notre rythme16 et que lorsque le rythme s’accéléra à nouveau ce ne fut plus le nôtre. Non pas la révolution contre le capital, mais la révolution du capital. Nous mésestimions la capacité du capitalisme à englober les contradictions. Nous nous laissions porter et parfois emporter, ce qui peut aussi expliquer les outrances du type de celles de « la révolution sera communiste ou ne sera pas17 ».

 

— à propos de vos remarques sur les luttes concrètes qui auraient été négligées, j’en ai déjà dit un mot précédemment qui contredit un peu votre affirmation d’autant que Dauvé (« Barrot ») et un autre animateur de la librairie La Vieille Taupe (F. Martin) ont pas mal écrit sur mai 1968 et particulièrement sur leur expérience à Censier au sein du « Comité inter-entreprises18 ». Mais d’une manière générale et pour aller dans votre sens, il est vrai que nous voulions aller de l’avant et nous estimions n’avoir pas le temps de nous retourner sur un passé encore trop proche pour devenir déjà historique (« Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ». La formule était un peu conne, mais c’est ce qui était ressenti majoritairement). Il y avait bien eu quelques textes immédiats au cœur même du mouvement comme la brochure commune des deux revues ICO-Noir et Rouge La grève généralisée, mai-juin 6819, l’article de Castoriadis (Coudray) « La révolution anticipée » qui circulait sous forme ronéotée avant de paraître en livre (Mai 68 : la brèche, Fayard, 1968, en association avec Lefort et Morin) + le livre d’auto-satisfaction publicitaire de Viénet (Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, Gallimard, 1968), mais cela faisait finalement peu. Ce n’est que bien après que des démarches restitutives20 ou plus théoriques21 ont été entreprises avec l’envie de faire resurgir l’événement, son contexte ou d’en tenter un bilan. Mais au début des années 1970, si nous continuions à exhumer de vieux textes par l’intermédiaire de la Vieille Taupe qui possédait des fonds (l’édition Costes des œuvres de Marx, le fond Spartacus, les réserves de numéros de SoB), il y avait comme un implicite, l’idée qu’une page était tournée. Ainsi d’ailleurs, en 1972, la librairie la Vieille Taupe se saborda déclarant que toute la théorie à s’approprier était maintenant disponible et qu’il ne s’agissait plus que de mise en pratique… sans mode d’emploi toutefois malgré le titre de l’affiche.

Cette perspective n’a pas aidé à la compréhension de ce qui se passait au même moment de l’autre côté des Alpes. Nous méconnaissions les théories opéraïstes, nous méprisions les groupes comme Potere Operaio et Lotta Continua parce que nous les assimilions à nos gauchistes alors qu’ils n’étaient que des avant-gardes du mouvement en Italie, certes différentes de celle que nous avions pu avoir avec le Mouvement du 22 mars en France. Nous refusions aussi tout net la lutte armée dans la forme BR ou PL, c-à-d quasi stalinienne. Cela nous paraissait lié au passé, à la phase d’affirmation de la classe ouvrière non à sa négation. Et si 1977 ne nous interpella pas plus, c’est qu’à ce moment-là, pour nous, de France, tout semblait déjà joué. Nous étions battus. Cette position par rapport à l’Italie est bien rendue par deux textes en provenance de deux groupes ayant eu une influence dans l’après 1968, un de Négation et l’autre du GLAT, groupe ayant joué un rôle important au sein du Comité inter-entreprises de Censier. Je résume leurs positions respectives dans mon livre sur 68. Tout cela pour dire qu’il m’a fallu attendre le bilan que j’ai entrepris de cette époque en 1987 avec mon Individu, révolte et terrorisme (Nautilus) pour redécouvrir et approfondir la théorie opéraïste22, réévaluer l’expérience prolétarienne italienne et le mouvement de refus du travail qui s’y est déroulé ainsi que la question de la lutte armée qui ne pouvait être réglée seulement par une position de principe du type pour ou contre. À notre décharge, Giorgio Cesarano, pourtant à la pointe de certaines expériences italiennes au sein de Ludd-conseils prolétaires avouera à l’époque ne pas avoir réussi à prendre en compte la dimension effective de 1977 alors que ses textes en étaient pourtant des anticipations. De fait, lui et ses proches ne jouèrent aucun rôle majeur dans les événements ce qui n’avait pas été le cas en 1968-1975.

 

— Les analyses concrètes des restructurations industrielles commencent aussi assez tôt dans Théorie communiste avec une analyse en termes de cycles de luttes et de crise, cette dernière notion étant employée dans un sens plus économique que celui des autres groupes pour qui « la crise » prend un tour plus général comme s’il fallait l’écrire avec un C ; une crise du rapport social capitaliste sous tous ses aspects que CC interprète en terme « d’irreproductibilité du capital » alors que TC, avec sa théorie des cycles en est encore à cerner les rapports entre révolution et contre-révolution.

Dès le milieu des années 1980 la plupart d’entre nous prennent en compte la nouvelle situation et notre défaite. C’est le temps de la glaciation (La Banquise remplace La Guerre sociale), le temps des questionnements (création de la revue ultra gauche Interrogations), le temps des bilans (Temps critiques) qui vont précéder de nouveaux développements théoriques, mais en repartant des transformations concrètes du rapport social et aussi de l’idée qu’il n’y a plus de porteur ou de destinataire privilégié de la théorie révolutionnaire ce qui nécessite une ambition modeste et le retour à une théorie critique. Mais ceci est une autre histoire… 

JW, août 2014.

 

Notes

1 – Elles m’ont renvoyé les épreuves du manuscrit de Capitalisme et nouvelles morales de l’intérêt et du goût parfaitement corrigées typographiquement jusqu’à la page 160 où apparaissait une critique de Zerzan qu’ils venaient juste d’éditer. Cela leur a suffi pour me répondre que cela ne correspondait pas à leur ligne éditoriale !

2 – À propos du même livre, leur directeur m’a fait savoir que ça l’intéressait mais que nous allions entreprendre un long travail commun de réécriture !

3 – À propos du livre sur 1968 : elles étaient d’accord pour publier la partie italienne parce que collant mieux à leur « opéraïsme », mais pas la partie française car pas assez classiste…

4 – À l’origine la revue Temps critiques a été éditée par les éditions de l’Impliqué de J. Guigou l’un des fondateurs de la revue mais ce n’était qu’un prête-nom datant de textes auto-édités antérieurs de Guigou auxquels il avait bien fallu qu’il donne un nom.

 – [Précision de Jacques Guigou (mars 2015) : – Depuis son origine, en 1990, la revue Temps critiques est éditée par les éditions de l’impliqué. Cette petite maison d’édition a été créée en 1984 par Jacques Guigou qui, au début, a surtout fait de l’auto-édition. Co-fondateur de Temps critiques en 1989, J. Guigou a alors publié la revue aux éditions de l’impliqué. D’une périodicité quasi annuelle, le no 17 de Temps critiques est sorti au printemps 2014.]

5 – Cf. le Petit lexique philosophique de l’anarchie de Daniel Colson, Poche, 2001.

6 – Un point de détail mais qui a quand même son importance, F. Danel qui est l’auteur de la compilation et de la préface n’a pas vécu directement cette période puisque plus jeune et ayant eu pleine liberté pour son activité, il a commis des erreurs de tri, de faits et de contenu, ce qu’il reconnaît je crois. Mais en dehors de cela le résultat de son travail est très appréciable.

7 – Quand je dis confidentiel ce n’est pas seulement par rapport à un grand public mais aussi par rapport au « milieu » lui-même. Ainsi, assez récemment, j’ai pu constater dans des discussions avec d’anciens responsables de RI puis de Courant communiste international (CCI) qui ont quitté les organisations officielles de l’ultra-gauche mais vingt ans plus tard, à quel point ils ignoraient l’existence de telles réunions alors que dans l’immédiat après 1968, nous avions tous plus ou moins (au moins pour les « parisiens ») participé aux grandes réunions, encore unitaires, d’Informations Correspondance Ouvrière (ICO).

8 – Ce texte sous-titré « Léninisme et ultra gauche », est présenté pour la première fois sous forme réduite en juin 1969 pour une réunion d’ICO. C’est cela qui est repris dans la compilation de Danel et non pas le texte entier, plus long et reproduit intégralement dans une brochure de la Vieille Taupe à la même époque puis dans le livre de Barrot Communisme et question russe, Futur antérieur, 1972. Il tentait de rompre avec une grande partie de l’héritage des « gauches communistes » des années 1920-1930 ; aussi bien avec les positions de la branche germano-hollandaise, focalisée sur les conseils ouvriers et la gestion ouvrière qu’avec les positions de la branche italienne focalisée sur l’organisation communiste et le Programme prolétarien invariant. Cela participa de l’implosion d’ICO et de l’émiettement en groupes, plus conseillistes pour ICO et le GLAT, plus partidaires pour RI ; et pour les autres, franchement en rupture d’avec ces présupposés élevés en marqueurs indélébiles.

9 – Fondements critiques d’une théorie de la révolution, Senonevero, 2001.

10 – James Bryant me l’a confirmé dans une entrevue à Paris au moment de la parution de la compilation. Il avait en effet jugé nécessaire de sortir de sa longue retraite politique puisqu’on reparlait de ses textes de l’époque et qu’il ne voulait pas qu’on leur fasse dire n’importe quoi. Cela dit, nos rapports se sont à nouveau espacés après que je lui ait fait savoir que je ne voyais pas quel éditeur pouvait publier son livre sur l’autonomisation de la valeur. Nous venions juste à l’époque de publier L’évanescence de la valeur qui actualisait aussi ses thèses d’origine. Ce qui l’intéressait surtout c’était la question de la communauté humaine et plus précisément celle de la religion au sens premier, c-à-d la question des liens et pourquoi la perspective communiste n’avait pas su ou pu tenir compte de cela ce qui pour lui expliquait en partie son échec. Mais il ne donnait pas de piste particulière de travail pour affirmer et approfondir cette perspective.

11 – Celui sur l’Ulster pour le no 311, juin 1972 des Temps Modernes est plus limité de portée.

12 – C’est ce qui distingue des groupes comme SoB (la gestion ouvrière comme « contenu du socialisme ») ou l’IS dont la position sur les conseils est fortement redevable aux liens entre Debord et Canjuers et sera actualisée par Riesel dans le no 12, de groupes comme Invariance qui, à la suite de Bordiga et de la gauche italienne vont critiquer toute vision usiniste, conseilliste et gestionnaire. Cela remonte à loin, à l’époque ou Bordiga le leader communiste officiel de l’époque en Italie critiquait les options de Gramsci et son Ordine Nuovo pendant l’expérience des conseils ouvriers de Turin en 1919.

13 – Dans la scission de 1966 au sein du PC bordiguiste, sortent Camatte qui fonde Invariance et Dangeville qui fonde Le Fil du temps. Ce dernier reste plein de déférence et référence pour Lénine, comme par ailleurs d’autres ultra-gauche comme R. Camoin, le fondateur des Cahiers du communisme de conseil, mais on ne peut parler chez eux de véritable léninisme (cf. infra : « À propos de Bordiga »).

14 – Cf. Les quatre volumes que Dangeville fait paraître chez Maspero et qui sont consacrés aux positions de Marx sur le parti.

15 – C’est là-dessus qu’Invariance a amorcé sa rupture à partir du moment où elle a développé la notion de « communauté matérielle du capital »

16 – Cela fut plus sensible en Italie puisque le « retard » du capitalisme italien et plus généralement les conditions de lutte là-bas étirèrent le mai (rampant) sur presque dix ans, permettant ainsi de mieux voir le fractionnement progressif de la classe au cours de la lutte, puis la coupure à partir de 1977.

17 – Pour ne prendre que l’exemple d’un des auteurs de cette brochure (« la révolution sera communiste ou ne sera pas »), à savoir James Bryant (« Bérard » à l’époque), l’époque a donné naissance à de véritables météorites, lui qui fit sauter le sacerdoce prolétarien de Lutte ouvrière, qui dynamitera ensuite l’ultra-gauchisme bien sage de RI avant de dynamiser en vain le néo-programmatisme mal assumé des futurs TC et CC et finalement filer en Inde pour y découvrir que le marxisme ne « dépassera » jamais la religion car cette dernière n’est pas simplement un opium du peuple.

18 – Cf. le no 2 de la revue La Banquise  : « Le roman de nos origines ».

19 – Réédité par les Cahiers Spartacus.

20 – Comme celle d’un autre ancien de la Vieille Taupe, J. Baynac avec Mai retrouvé, Laffont, 1978 ou celle de J.-P. Duteuil avec Nanterre 65, 66, 67, 68, vers le Mouvement du 22 mars (Acratie, 1988).

21 – Cf. J. Guigou et JW Mai 68 et le mai rampant italien, L’Harmattan, 2008 et aussi le texte de B. Astarian sur les grèves de mai-juin 68 (Échanges).

22 – J’avais parcouru plus que lu ses origines dans le recueil de textes des Quaderni rossi : Luttes ouvrières et capitalisme d’aujourd’hui (Maspero, 1968), mais sans en être marqué la première fois. Peut-être avait joué, en plus d’un certain localisme de nos interventions, le fait que ce soit publié par Maspero, symbole de l’establishment de gauche de l’époque.

 

 

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