Éditorial
À un moment où le capitalisme cesse de se présenter comme modèle, car plus rien ne semble lui faire face, il peut paraître surprenant de se reposer la question des formes et des contenus de l'anticapitalisme.
Vu l'état actuel de la critique, il est opportun, avant de rechercher les contenus actuels de l'anticapitalisme, de se replonger dans l'analyse des formes plus anciennes qu'il a revêtues. C'est ce que nous avons commencé dans le premier numéro de Temps critiques et que nous poursuivons dans cette deuxième livraison. La réflexion se reportera, dans ce numéro, sur les composantes inter-classistes et populistes des mouvements anticapitalistes plus que sur leurs composantes prolétariennes.
Antisémitisme, racisme, xénophobie, nationalisme constituent des expressions distinctes d'un populisme qui, sans reposer forcément sur un anticapitalisme conscient, n'en contiennent pas moins des éléments d'opposition à la société du capital. C'est pour cela que l'on ne peut se contenter, à leur sujet, des analyses antifascistes ou antiracistes dont la constante est de refouler ces mouvements dans l'archaïque et l'infra-humain, en ignorant le pourquoi de leur récurrence.
À chaque crise majeure du capitalisme a correspondu une poussée de xénophobie, de racisme et d'antisémitisme : l'affaiblissement, voire la disparation des espoirs de médiation pour un devenir-autre de l'humanité qui étaient portés par le prolétariat, pousse les individus particularisés à trouver une identité dans la haine de l'autre.
Mais xénophobie, racisme et antisémitisme alimentent les succès des populismes anticapitalistes de manière différente et selon des intensités graduelles. Le racisme a été construit au xixe siècle — même si on en trouve les prémices dans les discours des Conquistadores et de leurs prêtres — comme justification des annexions coloniales : les indigènes et autres natifs ne pouvaient pas appartenir à la même humanité que les colonisateurs. Il fallait recourir à une idéologie à caractère scientifique qui établisse une distinction entre l'Occidental, blanc, rationnel, adulte, et le colonisé qui ne possédait aucun de ces attributs. Le racisme comporte toujours cette marque de naissance, et c'est ce qui le différencie de la xénophobie, laquelle peut se définir comme la peur de l'autre en tant qu'étranger, mais appartenant cependant à l'espèce humaine. L'antisémitisme entretient le même type de rapport avec le racisme que ce dernier avec la xénophobie : il le présuppose mais l'élargit et l'intensifie jusqu'à lui donner un nouveau contenu. Alors que le raciste rejette l'autre à cause de sa particularité et de son incapacité à la dépasser, l'antisémite refuse l'autre, identifié dans « le Juif » à cause de son universalité. Le « peuple juif », groupement humain sans nation jusqu'à la fondation de l'État d'Israël, ne peut que menacer le particularisme national dans sa prétention à faire triompher ses valeurs « cosmopolites ». Le juif des phantasmes de l'antisémite participe à l'universalité en cela que, d'une part, il est au cœur du mouvement de la valeur (usurier, banquier, entrepreneur) et que, d'autre part, il manipule ces abstractions que sont l'argent et la pensée théorique. Il convient donc d'articuler étroitement, sans les confondre, xénophobie, racisme et antisémitisme, si l'on veut sortir des tautologies de l'antiracisme démocratique.