Dire qu'Auschwitz échappe à la raison est devenu de bon ton. Face à l'énormité du fait, le citoyen recourt à une « explication » de circonstance et range la destruction des juifs d'Europe sous la catégorie fourre-tout de l'« irrationnel ». Cette classification n'a pas seulement ceci de tranquillisant qu'elle conjure la chose en la nommant, mais aussi de transformer en entité drôlement facile à manier ce qui est donné pour insaisissable. Tel le sauvage qui imagine (…)
Numéro 2 — (Automne 1990)
Contre l’État-nation
La logique de l’antisémitisme
L’individu au cur de la critique
Table des matières
En Allemagne fédérale, le débat public sur l'antisémitisme et sur le national-socialisme est caractérisé par l'opposition entre les libéraux et les conservateurs d'une part, la gauche d'autre part. Les libéraux et les conservateurs, quand ils traitent du national-socialisme, concentrent leur attention sur la poursuite et l'anéantissement des juifs, négligeant d'autres aspects centraux du national-socialisme. Par-là, ils entendent souligner la prétendue rupture absolue (…)
L'antisémitisme est la taie sur l'œil du citoyen. Que le démagogue national puisse recueillir jusqu'à 60% des suffrages lui est chose inconcevable. Informé qu'il est sur les affaires publiques, le citoyen sait que les juifs ne représentent pas un « problème de société », contrairement à ceux qu'il appelle des « immigrés ». Passe encore que le démagogue s'en prenne à eux, car là — tout citoyen responsable doit en convenir — il y a « problème » ; là, de « vraies (…)
Des lecteurs nous ont fait part de leur étonnement ou de leur incompréhension devant la place centrale donnée au phénomène d'Auschwitz dans les articles de B. Schulze parus dans le premier numéro de la revue « Temps Critiques ». Cela mérite en effet quelques explications. Dans ces articles, B. Schulze fait implicitement référence au philosophe de la « Théorie critique », Theodor W. Adorno, pour qui Auschwitz représentait une cicatrice dans la culture occidentale laquelle se (…)
Il est difficile d'ignorer les surgissements actuels d'affirmations nationale, communautaire, identitaire. Difficile aussi de comprendre que ces surgissements se produisent au moment même où la réalité sociale est la plus internationalisée, où les nationalismes politiques semblent reculer (l'Europe 92) devant l'implacable abstraction de la contrainte économique mondiale. À l'instant même où la domination mondiale du capital se réalise visiblement, les problèmes que le (…)
L'individu moderne1 Ce qui fait la particularité de l'individu moderne, c'est qu'il se perçoit et se présente comme individu en dehors de sa socialité. Il existerait en tant que personne avant d'être membre de la société. Il ne serait social que par sa capacité à tisser des liens avec d'autres, à reconnaître qu'il vit dans un environnement (famille, travail) qui constitue le terrain d'exercice d'une socialité surajoutée. C'est cette perception qui (…)
Nous sommes à l'époque de la Restauration. Lorsque, après la chute de Napoléon, la royauté reconquit son trône ce ne fut qu'un cri en France et en Europe. Enfin, après ces sanguinaires Jacobins dont le bouleversant passage avait abouti à la dictature militaire et à la guerre, enfin, enfin ! On allait vivre ce qu'espéraient toutes les honnêtes gens comme Mme de Staël : une royauté constitutionnelle, donc l'alliance rêvée entre l'autorité souveraine et l'intérêt du (…)
Proust écrit quelque part que les palinodies de certaines personnes « tiennent moins à un excès d'ambition qu'à un manque de mémoire ». Elles changent d'opinion comme de chemise, se moquant aujourd'hui de ce qu'elles avaient soutenu hier. Face à ces êtres caméléonesques qui adoptent tour à tour la couleur changeante de l'époque, la critique de l'idéologie s'avoue désemparée et risque, en rappelant ses exploits, de tourner en cuistrerie. Quelle misérable (…)
Juillet 1990 Bonjour, J'ai lu avec attention le no l de Temps critiques. Il y avait longtemps que je ne m'étais plus plongé dans la littérature « ultra-gauche ». J'en ai profité pour me remettre à jour, pour faire le point sur ces questions difficiles. Le meilleur article me paraît être celui de Ilse Bindseil. Cette femme a du style et de la spontanéité. Elle filtre les événements à travers sa sensibilité et le tableau qu'elle peint est celui de la vie. (…)
Grenoble, octobre 1990 Cher ami, Merci pour ta lettre, incubatrice de réflexions personnelles et de débats internes à la revue. Lecteur, en effet. « attentif », et j’ajouterai perspicace du numéro 1 de Temps critiques, tu as déjà « participé du mouvement » que ses initiateurs cherchent à instituer ; et cela malgré la retenue que tu exprimes à la fin de ta lettre. Même lorsqu’il se veut autocritique, le critique demeure impliqué dans l’objet critiqué. De ce point de vue, j’aurais (…)
Ta critique recoupe certains aspects de la mienne qui se présente en partie comme autocritique. Je pense effectivement que Temps critiques n'est pour le moment pas assez critique. Pas assez critique à la fois au niveau du fond et de la forme. Comme tu le dis dans ta lettre, l'hégélianisme de gauche (du moins ce que j'entends par-là, c'est-à-dire la dialectique réduite à une forme rhétorique) est dépassé mais non pas dépassé par nous, avec notre petit entendement, mais (…)
Les deux textes de Joachim Bruhn, « Le corps alerte, rouge » et « Le sens de la vie et la politisation de la raf » montrent bien1 qu'il ne suffit pas de méconnaître la subjectivité pour faire une analyse objective. La subjectivité, qui est de façon indissociable liée à la révolution, ne se réduit pas, comme il semble le croire, à un « vague sentiment moral ». Les mathématiques et la physique qui sont la référence en matière d'objectivité nécessitent elles aussi un processus sujet. (…)
À un moment où le capitalisme cesse de se présenter comme modèle, car plus rien ne semble lui faire face, il peut paraître surprenant de se reposer la question des formes et des contenus de l'anticapitalisme. Vu l'état actuel de la critique, il est opportun, avant de rechercher les contenus actuels de l'anticapitalisme, de se replonger dans l'analyse des formes plus anciennes qu'il a revêtues. C'est ce que nous avons commencé dans le premier numéro de Temps (…)